Émile Zola, Classiques, Littérature française

Les Rougon-Macquart, tome 15 : La terre

La terre d’Émile Zola, 1887


♬ Dans la terre, quand tombe un grain de blé
C’est l’espoir qui va bientôt germer
Au sillon, il vient s’abriter
Il attend les beaux jours de l’été… ♬

Je poursuis mon chemin dans ce cycle des Rougon-Macquart, et suis une fois de plus émerveillée par le talent d’Émile Zola et par le travail colossal qu’a dû représenter la rédaction de cette oeuvre magistrale.
Chaque volume nous fait découvrir un nouvel univers et ce quinzième, dans l’ordre chronologique de rédaction, nous plonge dans la vie des paysans.

Si l’on a déjà lu Zola, on imagine sans peine en entamant cette lecture qu’il va nous offrir de ces magnifiques descriptions dont il a le secret.
Et c’est effectivement le cas.
Les paysages sont présentés de façon flamboyante et la Beauce est enchanteresse sous la plume de l’auteur, qui nous fait ressentir toute la force de l’expression « terre nourricière ».
Dans ces champs dans lesquels pousse le blé s’exerce une activité vitale. Il ne s’agit pas de jardinage ou de culture d’agrément : la vie des hommes dépend entièrement des récoltes.

(Petite parenthèse : quand j’écris « hommes » je parle bien évidemment des hommes ET des femmes.
Cela va sans dire ou plutôt, cela allait sans dire jusqu’à un passé assez récent, jusqu’à ce qu’un vent de folie stupide se mette à souffler, entretenu et amplifié par certaines personnes qui se pensent « in » ou « modernes » et voudraient soumettre toute la société au diktat de leur bienpensance.
Je refuse ces crétineries de toutes mes forces et n’écrirai jamais le lourdingue et superflu « tous les hommes et toutes les femmes », je n’utiliserai jamais les points qui rendent tout illisible alors qu’ils se prétendent inclusifs, je n’emploierai jamais la tristement célèbre formule, grammaticalement fautive qui plus est, « toutes celles et ceux » popularisée par un paon arrogant.
Voilà, c’est précisé, et tant pis pour les grincheux qui n’apprécieraient pas : je me contrefiche de votre avis.
Donc je persiste : la vie des hommes dépend entièrement des récoltes.
Fin de la parenthèse.)

Tel un peintre, Émile Zola nous montre les paysans au travail, la noblesse et la rudesse du labeur à une époque qui ne connaît pas encore la mécanisation et où tout se fait à la force du poignet.
Les récoltes, le battage du blé dans des gestes répétés et précis – savoir-faire transmis de génération en génération − toutes les étapes du travail agricole y passent, le tableau le plus sublime étant (à mon avis) celui des semailles.
Pour l’écrivain, le geste du semeur est une allégorie de la vie tant cette étape initiale est cruciale : tout doit être fait de la façon la plus parfaite possible afin d’assurer le succès vital de la récolte à venir.
On comprend que n’est pas du blé qui est semé : ce sont des germes de vie dans un mouvement ancestral qui féconde la terre.
Que c’est beau !

Moi qui aime tant les descriptions de Zola, toutes ces pages m’ont enchantée mais si je m’arrêtais là, vous pourriez croire que ce roman n’est qu’une longue promenade bucolique à travers la Beauce.
Comme ce serait réducteur !
Zola a dépeint la nature et parsemé son livre de scènes agricoles pour suivre le fil des saisons et donner un cadre à une histoire étourdissante.
Il a donné vie à des personnages aux caractères bien affirmés, que les difficultés du quotidien ont endurcis.
Certains sont détestables, d’autres émouvants comme le vieux Fouan usé par les ans et qui a dû à contrecoeur céder ses terres.
Ce pauvre vieillard se sent désormais inutile ou plutôt, on lui fait sentir son inutilité et l’on n’est pas tendre avec lui : ses propres enfants lui font comprendre qu’il est désormais un poids, un fardeau. Une bouche inutile.
Jugez plutôt :
« Des gens passaient qui ne le saluaient plus, car il devenait une chose. Sa pipe même lui était une fatigue, il cessait de fumer, tant elle pesait à ses gencives, sans compter que le gros travail de la bourrer et de l’allumer, l’épuisait. Il avait l’unique désir de ne pas bouger de place, glacé, grelottant, dès qu’il remuait, sous l’ardent soleil de midi. C’était, après la volonté et l’autorité mortes, la déchéance dernière, une vieille bête souffrant, dans son abandon, la misère d’avoir vécu une existence d’homme. D’ailleurs, il ne se plaignait point, fait à cette idée du cheval fourbu, qui a servi et qu’on abat, quand il mange inutilement son avoine. Un vieux, ça ne sert à rien et ça coûte. Lui-même avait souhaité la fin de son père. Si, à leur tour, ses enfants désiraient la sienne, il n’en ressentait ni étonnement ni chagrin. Ça devait être. »
Comment ne pas être bouleversé ?
Et ceci n’est qu’un exemple de la cruauté et de la noirceur de ce tome, le plus noir de tous ceux que j’ai lus jusqu’à présent dans ce cycle époustouflant.

La terre, précieuse par-dessus tout, est plus précieuse que l’amour.
Personnage à part entière de l’histoire, voire personnage principal, c’est elle qui dicte tout. D’elle dépendent les hommes qui y vivent et y travaillent.
C’est elle qui aura toujours le dernier mot.
Mais ce qui pourrait engendrer amour et respect fait naître aussi des jalousies extrêmes et de la cupidité à un point terrifiant dans leurs conséquences.
Émile Zola a conçu un scénario terriblement féroce et violent !
Germinal était déjà empreint de violence mais celle-ci était principalement exercée sur les mineurs et leurs proches par les exploitants de la mine. Deux milieux sociaux s’affrontaient tandis qu’ici, on s’entredévore et l’on se hait entre semblables, et même entre membres d’une même famille.
C’est une violence monstrueuse et barbare, d’une autre nature et encore plus inacceptable.
On pourrait penser que, vivant dans la difficulté, les paysans s’entraideraient, mais c’est tout le contraire : voilà pourquoi j’ai trouvé ce livre si dur.
Choquant au sens premier du terme. Ébranlant.

Émile Zola a rédigé un texte non seulement violent mais aussi très cru et d’une incroyable intensité.
L’atmosphère est parfois terriblement brutale et l’auteur se plaît à montrer les similitudes qu’il y a souvent entre hommes et bêtes.
Dans une formidable scène d’accouchements simultanés d’une femme et d’une vache, il nous renvoie sans ménagement à notre condition animale.
Ce passage est vraiment cocasse et fait partie des touches d’humour glissées de-ci de-là, comme pour mieux faire passer la noirceur générale.
L’ensemble donne un roman plein de vie, prenant et haletant, que j’ai refermé le souffle coupé.
Du grand Zola. Du très grand Zola !

Émile Zola, Classiques, Littérature française

Les Rougon-Macquart, tome 14 : L’œuvre

L’œuvre d’Émile Zola, 1886


♬ Cézanne peint
Il laisse s’accomplir la magie de ses mains
Cézanne peint
Et il éclaire le monde pour nos yeux qui n’voient rien… ♬

Dans ce quatorzième volume des Rougon-Macquart, Émile Zola nous plonge dans le milieu artistique.
Claude Lantier et ses amis sont peintres, sculpteurs, ou écrivains comme Pierre Sandoz à qui l’auteur prête l’intention suivante : « Je vais prendre une famille, et j’en étudierai les membres, un à un, d’où ils viennent, où ils vont, comment ils réagissent, les uns sur les autres ; enfin, une humanité en petit, la façon dont l’humanité pousse et se comporte… ». Joli clin d’oeil, non ?

Fils aîné de l’inoubliable Gervaise de L’assommoir, Claude Lantier est animé d’un puissant désir de création et d’une volonté de réussir à tout prix un tableau exceptionnel. Il ressent au plus profond de lui le besoin impérieux de produire un chef-d’oeuvre.
Zola nous montre l’engrenage psychologique infernal dans lequel il se laisse prendre et comment il glisse de la persévérance à l’acharnement puis à l’obstination et enfin, tombe dans l’obsession.
La persévérance est une belle qualité, mais l’obsession vous aigrit, vous ronge de l’intérieur et vous coupe du monde extérieur.
L’obsession vous fait agir de façon irrationnelle, vous dépossède de la maîtrise de vous-même et vous rend complètement dépendant tel le joueur compulsif qui après chaque perte n’a qu’une idée en tête : rejouer pour se refaire.

Claude est accaparé par sa peinture qui l’éloigne de tout et de tous, y compris de sa femme qu’il aime pourtant, mais qu’il finit par ne plus voir que comme un modèle pour ses toiles.
De son côté, celle-ci se met à haïr la peinture qui est pour elle est pire qu’une maîtresse : une rivale de chair et de sang, ça peut se combattre, mais comment lutter contre un bouillonnement intérieur, une envie irrépressible ?
La lutte est tellement inégale qu’on la sent perdue d’avance.

L’aspect romanesque du livre est extrêmement plaisant : l’histoire est captivante, les personnages vivants et terriblement attachants. C’est un régal qui se lit presque d’une traite.
Mais ce n’est pas tout.
Le roman offre une réflexion passionnante sur les joies et les malheurs qui accompagnent la vie d’un artiste.
Claude Lantier est peintre, mais Zola aurait pu choisir de le faire écrivain, musicien, sculpteur… peu importe : l’essentiel est l’art et le rapport avec la création artistique.
Avoir fait de son personnage principal un peintre est un choix très judicieux parce que la peinture, art visuel par excellence, permet à l’auteur de nous offrir de magnifiques descriptions, qu’il s’agisse des toiles de Claude ou des paysages dont il s’inspire.

Émile Zola nous gratifie de merveilleuses pages sur Paris et sur la campagne normande. Elles sont infiniment belles parce que l’écrivain voit les paysages à travers les yeux du peintre et nous les restitue ainsi.
Je me permets ici une petite parenthèse : si Zola revenait, il serait sidéré de voir dans quel état se trouve la ville autrefois splendide qu’il a si merveilleusement décrite dans nombre de ses romans. Ville enlaidie et saccagée à plaisir, le « spectacle » est à pleurer. Je ferme la parenthèse.

Si la vie d’artiste peut parfois faire rêver, si l’on s’imagine naïvement un monde exaltant et merveilleux de beauté et de créativité, Émile Zola nous en donne une tout autre image.
L’art est-il épanouissant pour celui qui le pratique ? À la lecture de ce roman, on en doute !
Chacun sait que certains artistes aujourd’hui reconnus ont eu des vies terriblement difficiles, qu’ils ont parfois vécu dans un grand dénuement, qu’ils n’ont pas connu la reconnaissance de leur vivant.
Après la lecture de L’oeuvre, je ne regarderai plus certains tableaux, ne lirai plus certains ouvrages, ni n’écouterai certaines oeuvres musicales de la même façon.
La gratitude que j’éprouve toujours pour les artistes qui nous régalent tant se trouve désormais décuplée.

« Au fond, la conscience tenace de son génie lui laissait un espoir indestructible, même pendant les longues crises d’abattement. Il souffrait comme un damné roulant l’éternelle roche qui retombait et l’écrasait ; mais l’avenir lui restait, la certitude de la soulever de ses deux poings, un jour, et de la lancer dans les étoiles. »
Cet extrait résume tout le drame de la vie de Claude Lantier, et si pour Camus, « Il faut imaginer Sisyphe heureux », ce n’est pas du tout ce que Zola a envisagé pour son héros.

L’oeuvre m’a éblouie.
Émile Zola nous parle d’art mais avant tout il nous parle d’humanité.
Et c’est incroyablement beau.

Émile Zola, Classiques, Littérature française

Les Rougon-Macquart, tome 13 : Germinal

Germinal d’Émile Zola, 1885


♬ Au nord, c’étaient les corons
La terre c’était le charbon
Le ciel c’était l’horizon
Les hommes des mineurs de fond… ♬

Quel roman ! Quel roman !
Époustouflant, prodigieux, exceptionnel… je ne vais pas trouver assez de qualificatifs pour rendre justice à ce chef-d’oeuvre.
Émile Zola nous emmène chez les mineurs et nous fait partager leur vie. L’immersion est saisissante parce que parfaitement réussie. L’écrivain ne se contente pas de présenter un texte à ses lecteurs, il le leur fait vivre.

Chaque tome des Rougon-Macquart offre des personnages forts, un décor merveilleusement bien décrit et une histoire prenante. En plus de cela, dans Germinal, tout est tellement réaliste, authentique, humain, vivant, que le lecteur est emporté dans les pages, qu’il vit tout de l’intérieur et ne fait plus de différence entre fiction et réalité.
Germinal est une expérience de lecture à part. Rare et intense.

Pendant plusieurs jours, j’ai vécu avec la famille Maheu et toutes les autres familles du coron.
Je me suis levée avant l’aube et préparée pour ma journée de travail. Je suis allée chercher ma lampe, bouée de survie dans les entrailles de la terre.
Je suis descendue dans la fosse. J’ai senti le froid et l’humidité, j’y ai trouvé l’obscurité.
J’ai marché pour aller rejoindre la taille qui m’avait été assignée. Je me suis courbée lorsque les voies s’amincissaient.
Durant des heures interminables, j’ai peiné dans les différents travaux de la mine.
J’ai connu l’extraordinaire solidarité de ces travailleurs pauvres mais dignes, j’ai partagé leurs maigres repas, j’ai vécu dans leurs maisons dépourvues du moindre confort.
J’ai vécu leurs vies de labeur et de peines.
J’ai ressenti l’inquiétude permanente de la Maheude qui se demande comment elle va faire pour nourrir ses enfants, j’ai partagé le quotidien de ces mineurs fatalistes et résignés de pères en fils, condamnés à vie comme l’étaient leurs parents et comme le seront leurs enfants, au « bagne souterrain ».
En descendant dans la fosse, c’est une longue descente dans une autre époque, dans un autre monde, que j’ai effectuée.

Quand Étienne Lantier (fils de Gervaise Macquart de L’Assommoir) est arrivé avec ses aspirations justes et ses rêves utopistes, je l’ai suivi. Lorsqu’il a prononcé ses discours enflammés je me suis laissée emporter avec les autres mineurs. J’ai embrassé le désir de révolte qu’il avait fait naître, ressenti la soif de justice qui traversait tout le coron, compris sa légitimité.
J’ai rêvé d’un monde meilleur et j’ai espéré, d’un espoir fou et absolu.

Émile Zola est au sommet de son art dans ce roman magistral.

Le puits dans lequel Maheu et ses enfants en âge de travailler descendent m’a captivée.
L’auteur n’est pas avare d’expressions terribles pour le personnifier : il est « toujours affamé », il « engloutit » les mineurs, il a une « gueule » avec laquelle il semble « boire ».
Au début, ce n’était qu’un nom, et puis il a fini par me fasciner, et par m’effrayer. À chaque fois qu’il apparaît dans le texte, la peur et un pressentiment de malheur arrivent avec lui.
D’ailleurs, ce « monstre », cette « bête », ce trou qui « avalait des hommes par bouchées de vingt et de trente, et d’un coup de gosier si facile, qu’il semblait ne pas les sentir passer » porte bien son nom : le Voreux.
Voreux comme « vorace », Voreux comme « dévore ».

Les discours exaltés d’Étienne face aux mineurs en grève sont incroyables. Quelles pages ! Quel enthousiasme, quelle force de conviction, quelle fougue ! Zola montre là tout son talent de plume politique.

L’écrivain fut journaliste littéraire puis journaliste politique avant de commencer le cycle des Rougon-Macquart dont ce tome est l’un des piliers.
Roman social par excellence, Germinal dénonce l’enrichissement facile et sans danger des actionnaires exploitant les mineurs qui prennent tous les risques : accidents à court terme, maladies et infirmités diverses à long terme.
Ce treizième volume est particulièrement percutant par son sujet et son réalisme car il résulte d’un immense travail de documentation mené par Zola. Mais cette recherche en amont ne fait pas tout, il faut tout le talent de l’auteur pour donner sa force à Germinal.
La volonté également : Zola s’est constamment impliqué dans la vie de son époque. Nous connaissons tous son fameux « J’accuse…! » mais l’ardent défenseur de Dreyfus s’est engagé dans bien d’autres combats.
Lors de ses obsèques, Anatole France déclara « Il fut un moment de la conscience humaine » et une délégation de mineurs de Denain accompagna le cortège funèbre aux cris de « Germinal ! Germinal ! »

L’ouvrage se conclut sur une note d’espoir, ténu et fragile, annoncé dans le titre. Mais que de malheurs pour en arriver là !
Comme la végétation sortant de terre au moment de la germination, les mineurs finiront-ils par sortir de leur fosse ? La nouvelle saison qui arrive annonce-t-elle une vie nouvelle ? le printemps qui débute et incarne le cycle de la vie préfigure-t-il la fin du cycle de la misère ?

J’ai fini ma lecture. Je suis ressortie de la fosse, j’ai quitté le coron, mais une partie de moi est restée là-bas avec ceux qui sont devenus mes amis. Et une partie d’eux ne me quittera plus jamais.
Germinal a laissé une marque indélébile en moi.
Comment ne pas aimer lire encore plus après une pareille aventure ?
Et comment accepter que des imbéciles incultes osent qualifier les librairies de commerces « non essentiels » ?

Umberto Eco a dit : « Celui qui ne lit pas aura vécu une seule vie. Celui qui lit, aura vécu 5000 ans. La lecture est une immortalité en sens inverse. »
En lisant Germinal, j’ai vécu des vies sombres, des vies pauvres, des vies tristes, des vies émouvantes.
Peu importe si je n’ai pas gagné la moindre part d’immortalité, j’ai gagné à coup sûr une grande part d’humanité.
Zola est un génie et je ne peux que me féliciter d’avoir prénommé l’aîné de mes fils « Émile ».

Pour finir, je veux ajouter une réflexion, que certains jugeront peut-être hors sujet, mais je ne trouve pas qu’elle le soit.
« Était-ce possible qu’on se tuât à une si dure besogne dans ces ténèbres mortelles, et qu’on n’y gagnât même pas les quelques sous du pain quotidien ? »
Oui, c’était possible. C’était là toute la vie des mineurs au dix-neuvième siècle, mais ne croyez pas pour autant que ces temps soient révolus.
L’exploitation des êtres humains existe encore, mais on préfère fermer les yeux dessus pour rester sans mauvaise conscience dans notre petit confort.
Juste un exemple : les conditions d’extraction du cobalt, cet élément indispensable à nos batteries de smartphones, de vélos ou de voitures électriques. (Voir article ci-dessous)
Au lieu d’aller à l’école, des enfants de la République démocratique du Congo travaillent dans des mines malsaines et dangereuses, dans lesquelles des effondrements réguliers tuent abondamment. Mais ici, des industriels sans scrupules, soutenus par des politiciens corrompus, nous vantent à grand renfort de publicité les mérites d’une voiture « propre ».
Ben, voyons !
Ils auraient tort de se gêner, ça fonctionne tellement bien !
Ils réussissent même à faire culpabiliser ceux qui ne changent pas leur véhicule, les faisant passer pour d’infâmes égoïstes responsables de tous les maux de la planète alors que les moteurs « traditionnels » ont fait d’immenses progrès et polluent de moins en moins, y compris les diesels… chose que l’on nous cache soigneusement, parce que l’on tient là un moyen simple de vendre toujours plus de voitures électriques et de forcer la main à des propriétaires qui auraient pu garder leur ancien véhicule encore en parfait état de marche.
Que la pollution liée aux batteries usagées qu’on ne sait pas recycler soit un vrai fléau, que le gaspillage de voitures passées à la casse inutilement soit scandaleux et que l’exploitation des enfants dans les mines soit révoltante ne compte visiblement pas face à tout l’argent que certains trouvent à gagner.
Où est l’écologie dans tout ça ? Loin, très loin.
De beaux mensonges pour enrober une sale réalité.
Non, Germinal n’est pas qu’un vieux roman, hélas…

https://www.ouest-france.fr/economie/entreprises/dossier-pour-nos-batteries-de-smartphones-ou-voitures-des-enfants-creusent-en-afrique-6971213

Émile Zola, Classiques, Littérature française

Les Rougon-Macquart, tome 12 : La joie de vivre

La joie de vivre d’Émile Zola, 1884



♬ Y’a d’la joie
Dans le ciel par-dessus le toit
Y’a d’la joie… ♬

Dans le cycle des Rougon-Macquart, après le onzième volume parisien Au bonheur des dames, Zola nous emmène au bord de la mer dans un petit village normand.
Ah, les embruns, l’air marin vivifiant : ce douzième tome devrait regorger de vie… et de joie.
Détrompez-vous, le titre n’est que pure ironie et l’auteur se moque bien de son lecteur à qui il dépeint un tableau très sombre.

Le personnage principal est Pauline Quenu, fille du couple de charcutiers prospères rencontrés dans Le ventre de Paris.
L’enfant devenue orpheline à l’âge de dix ans est recueillie par des cousins. Ceux-ci sont d’emblée attendris par la fillette qui, malgré son triste sort, n’est que douceur et gentillesse : « Tous trois regardaient l’enfant assoupie. Son haleine s’était calmée encore, ses joues blanches et sa bouche rose avaient une douceur immobile de bouquet, dans la clarté de la lampe. Seuls, ses petits cheveux châtains dépeignés par le vent jetaient une ombre sur son front délicat. Et l’esprit de madame Chanteau retournait à Paris, au milieu des ennuis qu’elle venait d’avoir, étonnée elle-même de sa chaleur à accepter cette tutelle, prise d’une considération instinctive pour une pupille riche, d’une honnêteté stricte d’ailleurs, et sans arrière-pensée au sujet de la fortune dont elle aurait la garde. »
On pourrait penser que Pauline est entre de bonnes mains, que ses cousins vont lui offrir la chaleur et la tendresse d’un nouveau foyer. Une orpheline si jeune mériterait bien ça, non ?
La réalité sera tout autre !
Et sans surprise car, connaissant le contexte de la famille Chanteau, le lecteur ne peut qu’être alerté par la fin de l’extrait ci-dessus.

J’ai dévoré ce volume au fond très sombre et à l’écriture limpide dans lequel Zola fait preuve d’un grand lyrisme.
Contrastant avec le roman précédent, il contient très peu de personnages, et ceux-ci sont décortiqués dans les moindres détails. C’est sans doute ce qui les rend si vivants, si réels… et consternants parce que l’image qu’ils renvoient est peu flatteuse pour la nature humaine.
Zola n’est décidément pas tendre avec les hommes dont il se plaît à montrer les travers !

Au cours de mes lectures, il m’arrive parfois d’apostropher intérieurement des personnages. Dans des situations diverses, je peux les encourager, les féliciter, les gronder ou même les invectiver. C’est en général très bon signe, cela montre que je suis complètement prise par le texte et immergée dans l’histoire.
Ici, les occasions n’ont pas manqué !

Pauline est un ange. Foncièrement bonne et généreuse, dévouée à tous, même aux animaux. Son arrivée apporte de la joie de vivre dans une maison qui jusque-là en manquait cruellement.
Je me suis adressée à elle à de nombreuses reprises : « Pauline, de temps en temps il faut savoir cesser d’être gentille. » ou « Pour une fois, pense un peu à toi ! »
Quel contraste avec Lazare, le fils Chanteau !
Égoïste au plus haut point, il ne se préoccupe que de sa petite personne et s’enflamme tour à tour pour quantité de choses dans des domaines aussi variés que la musique, la littérature, la chimie, la médecine… passions fugaces abandonnées dès la première difficulté pour retomber dans l’abattement extrême et une obsession morbide pour la mort. On le qualifierait aujourd’hui de bipolaire.
Ce manque cruel de persévérance devient de plus en plus exaspérant et je ne compte plus les fois où j’ai eu envie de lui crier : « Bon sang, Lazare, secoue-toi un peu ! »
Je me suis même demandé si le choix de son prénom n’était pas une facétie de l’auteur, un petit clin d’oeil au célèbre « Lève-toi et marche ! »

Je vous laisse découvrir les autres protagonistes de l’histoire, que Zola n’a pas épargnés.
Pauline mise à part, le plus humain de tous les personnages est certainement Mathieu… le chien ! Avoir donné à cet animal un nom d’homme n’est sans doute pas innocent.

Ce douzième opus est beaucoup moins superficiel que ce que le lyrisme du texte et la facilité de lecture pourraient laisser penser : Zola nous offre une analyse psychologique profonde et très fine.
Il en profite pour donner quelques coups de griffes bien sentis, comme il aime le faire : à travers les personnages du curé et du médecin, il règle ses comptes avec le clergé et toute la corporation médicale.
Dans le roman, le docteur Cazenove et l’abbé Horteur passent leur temps chez les Chanteau, jouant les pique-assiettes, et se montrent l’un comme l’autre parfaitement inutiles.
On sent que l’écrivain a pris un grand plaisir à les dépeindre ainsi.

Pour compléter le tableau, je ne peux pas ne pas mentionner une scène dantesque qui va longtemps rester dans ma mémoire : celle de l’accouchement. Doublement incroyable sous la plume d’un homme du dix-neuvième siècle, elle ébranle le lecteur qui a intérêt a bien avoir pris son souffle avant ! La maman de quatre enfants que je suis ne peux que mesurer sa chance de les avoir mis au monde à une époque médicalement bien plus favorable.

Les embruns, l’air iodé et vivifiant… quel contraste avec la noirceur de l’intrigue !
Il y a bien peu de joie dans ce livre au titre trompeur.
Même la mer, qui habituellement apporte de la vie et de la gaieté aux villes littorales, n’apporte ici que des problèmes.
Zola a rédigé cet opus au moment du décès de sa mère et certains interprètent les personnages de Lazare et Pauline comme l’incarnation de l’état d’esprit ambivalent de l’auteur : un pessimisme quasi dépressif chez le premier, un optimisme de fond pour la seconde.

Dans le cycle des Rougon-Macquart, La joie de vivre est l’un des titres les moins connus ; il mérite pourtant d’être lu !
Justesse des personnages, qualité de l’intrigue, beauté de l’écriture, tout est là.
Et à défaut de joie de vivre, Émile Zola nous offre une incontestable joie de lire !
Émile Zola, Classiques, Littérature française

Les Rougon-Macquart, tome 11 : Au bonheur des dames

Au bonheur des dames d’Émile Zola, 1883

Les Rougon-Macquart, tome 11 : Au bonheur des dames par Zola

♬ Ma petite entreprise connaît pas la crise… ♬
Oh non, pas de crise pour Octave Mouret, directeur du magasin « Au bonheur des dames » !
Avec un sens aigu des affaires, il sait offrir à sa clientèle les produits qui vont lui plaire.
Et comme vendre selon les goûts et les besoins des clients ne suffit pas, il sait comme personne faire naître d’irrépressibles envies d’acheter à peu près tout.
Mouret est un as de la vente.
Un entrepreneur de génie !

C’est la société de consommation qui est décrite dans ce livre : la façon dont le commerce s’y prend pour créer des besoins qui n’en sont pas.
Mouret déploie sans cesse de nouvelles astuces, des procédés originaux pour vendre toujours plus.
Il invente le marketing avant que le mot ne soit créé.

Dans le roman, les clients sont des clientes : ce sont les femmes qui se pressent dans le magasin et dépensent au-delà du raisonnable.
Elles sont parfois accompagnées de leurs maris, mais ces pauvres hommes sont traînés et entraînés par des épouses qui dirigent tout en matière d’achats. Ils souffrent de la frénésie de ces dames, mais restent relativement passifs.
On sent que Zola prend beaucoup de plaisir à souligner que ce sont les femmes qui achètent et qui sont le jouet des techniques de vente de Mouret. Les maris, eux, sont victimes par ricochet.
En fin de compte, personne n’est épargné : les unes sont naïves et manipulées, les autres sont faibles et subissent les fièvres acheteuses de leur femme sans oser s’opposer.

Zola dépeint formidablement la double folie du « toujours plus ».
D’un côté, un directeur qui n’a jamais l’air comblé par des chiffres de ventes pourtant en perpétuelle croissance. Si hauts soient-ils, la satisfaction n’est qu’éphémère et c’est une course sans fin entraînée par une cupidité sans limites.
De l’autres côté, les clientes n’en ont jamais assez. Elles ne sont jamais rassasiées. Si elles parviennent à assouvir leur besoin d’acheter et se montrent parfois repues, ce n’est que momentané. À leur prochain passage dans le magasin, elles sont à nouveau prises d’envies frénétiques d’acquérir de nouveaux articles.
Toujours plus !
Ce double processus est sans fin, et d’autant plus pernicieux que les deux aspects s’entretiennent mutuellement et créent une double dépendance : Mouret dépend de ses clientes, et celles-ci dépendent de lui.
La relation n’est toutefois pas vraiment symétrique : les clientes se ruinent tandis que le directeur s’enrichit à leurs dépens. Et non content de les exploiter, il se moque d’elles car sous un charme de façade pour les séduire, il les méprise.
C’est totalement hypocrite : il flatte ces dames, les reçoit avec égard, mais ne s’intéresse qu’à leur porte-monnaie.
Pour Mouret, son flot de clientes n’est qu’un troupeau qu’il entend mener où il veut et qu’il manipule pour en retirer le plus d’argent possible. Il ironise volontiers sur « toute la passion de la femme pour la dépense et le chiffon ».
En privé, il ne cache pas ses véritables pensées : « Ayez donc les femmes, dit-il tout bas au baron, en riant d’un rire hardi, vous vendrez le monde ! ».
Un peu plus loin, quand Mouret songe, Zola évoque « son peuple de femmes » au sujet duquel il écrit : « il les tenait à ses pieds, sous l’éblouissement des feux électriques, ainsi qu’un bétail dont il avait tiré sa fortune. »
Voilà qui est clair !
Et terriblement cynique !
Mouret n’a aucune considération pour ses clientes, il n’en a que pour leur argent.
Zola est cruel dans toutes ces pages, et j’ai cru sentir une certain jubilation à montrer les femmes sous un jour peu flatteur.
Alors, attention : ne mettons pas ce livre entre les mains de pseudo féministes, elles hurleraient à la misogynie et réclameraient son interdiction. Réservons-le, plus prudemment, aux lecteurs possédant un peu plus que deux neurones à peine connectés.

Zola nous entraîne dans un merveilleux récit dans lequel il raconte comment le directeur développe au fur et à mesure son entreprise.
C’est David contre Goliath : Au bonheur des dames prend de plus en plus de place dans le quartier et acquiert un poids financier de plus en plus important, causant la ruine des petits commerces.
Certains capitulent rapidement, d’autres tentent de résister, mais tous seront engloutis par « le monstre ». C’est implacable et le lecteur rempli de compassion pour les petits commerçants ne peut que constater le désastre.

Réfléchissons un peu.
Ce onzième volume du cycle des Rougon-Macquart a été écrit en 1883. Et pourtant…
Une grande enseigne puissante et aux méthodes agressives qui fait mourir les petits commerces… ça ne vous rappelle rien ?
Allez, un petit effort : le nom commence par A et finit par N.
Vous y êtes, là ?

Écrit il y a bien plus d’un siècle, ce roman, placé dans un contexte social et historique différent de celui d’aujourd’hui, reste d’une formidable modernité.
Une preuve de plus du talent de son auteur, qui a si bien su décrire son époque, mais plus encore, dépeindre les hommes dans ce qu’ils ont d’intemporel.
Ici, c’est la cupidité, le cynisme et la manipulation qui sont à l’honneur… si j’ose dire.

Ce livre est une merveille. Tout y est réussi : l’intrigue, les personnages, le décor.
L’intrigue ?
Ne comptez pas sur moi pour vous la dévoiler.
Les personnages ?
À part Mouret dont j’ai abondamment parlé, ils sont nombreux, à commencer par le personnel du Bonheur et ceux qui tiennent les petites boutiques du quartier. Toute une galerie à qui Zola donne merveilleusement vie.
Le décor ?
Presque toutes les scènes se passent dans le magasin qui fournit un cadre fabuleux à l’histoire, tellement important qu’il en devient presque le personnage principal.
Ça grouille de vie à chaque étage, à chaque rayon, dans chaque recoin, selon une incroyable organisation : le magasin est presque un organisme vivant avec ses organes et ses fonctions.
Zola nous offre des descriptions éblouissantes : un régal de lecture pour qui apprécie son génie dans ce domaine.

Au bonheur des dames m’a enchantée, et si ce Bonheur ne fait pas vraiment celui de ses clientes, il a fait le mien !
Ce tome onze des Rougon-Macquart est une immense réussite, et je formule le voeu qu’au-delà du plaisir littéraire le lecteur en retire le précepte suivant à garder en tête : si j’achète un objet dont je n’ai pas besoin, ce n’est jamais une « bonne affaire ». Quel qu’en soit le prix, c’est de l’argent gaspillé, c’est tout. La « bonne affaire » n’est bonne que pour le vendeur.

Au bonheur des dames est disponible ou à commander dans toutes les bonnes librairies… et pas sur le site dont le nom commence par A et finit par N.

Émile Zola, Classiques, Littérature française

Les Rougon-Macquart, tome 10 : Pot-bouille

Pot-bouille d’Émile Zola, 1882

♬ Sa maison est en carton
Pirouette, cacahuète
Sa maison est en carton
Les escaliers sont en papier… ♬

Pour Zola, l’immeuble de la rue de Choiseul est comme une maison en carton dont il nous montre la vie intérieure.
Tout au long de ma lecture j’ai pensé à ces célèbres gravures du dix-neuvième siècle sur lesquelles figure une vue en coupe permettant de tout voir : habitants, appartements et escaliers. (Illustration en fin d’article)

L’auteur nous invite à une opération « portes ouvertes ». Alors, qu’attendez-vous ?
Venez, entrez !

Dans ce dixième volume des Rougon-Macquart, Émile Zola se fait cuisinier.
En effet, d’après le dictionnaire, la pot-bouille est la cuisine ordinaire d’un ménage.
Mais la cuisine dont il est question ici n’a rien à voir avec cette nourriture abondante et appétissante que l’on a pu déguster dans Le ventre de Paris.
L’écrivain nous montre la tambouille quotidienne des habitants : les petites histoires, les intrigues, les manigances, les accommodements, les mensonges, les tromperies, les infamies.
Du plus insignifiant au plus grave, du plus bénin au plus abject, il dresse un tableau bien peu reluisant.
Il nous montre la vie de son époque à travers un immeuble ou plutôt, à travers ses occupants.
Les cancans, les jalousies, les petits et grands problèmes des uns et des autres, leurs inquiétudes, toutes les intrigues qui se nouent, les relations cachées, les calculs… c’est un concentré de vie !

Dans cet immeuble bourgeois, plusieurs classes sociales se côtoient. Les maîtres sont en bas, les domestiques en haut dans les chambres de bonnes.
En bas, les intérieurs sont plus ou moins luxueux, selon la fortune des propriétaires ; en haut, c’est le strict minimum… voire moins.
Zola se régale à montrer que derrière des apparences différentes, le fond est le même.
Maîtres ou valets, peu importe : ce sont les mêmes histoires, les mêmes sournoiseries, les mêmes duplicités, les mêmes dissimulations.
Certains sont mieux habillés, s’expriment mieux, ont plus de culture, mais sous ce vernis séduisant, ne se comportent pas mieux que les autres.
Quelle que soit la position sociale, la nature humaine est la même, et ceux qui se pensent supérieurs ne valent pas mieux que ceux qu’ils considèrent comme inférieurs à eux.
Ils sont sans doute pire, même, parce qu’ils dissimulent sous des dehors qui se voudraient trompeurs leurs vilenies que Zola met au jour avec tout son talent.

Ce tome dix est terriblement corrosif.
Dans L’Assommoir, Zola montrait beaucoup de tendresse pour les ouvriers dont il décrivait la vie laborieuse et difficile. Ici, il n’a aucune pitié pour ses personnages : à des degrés variés, tout le monde ment, dissimule, trompe.
Les bonnes se vengent des injustices ou des vexations qu’elles subissent et cancanent à qui mieux mieux.
Ce que l’on veut cacher ne le reste pas longtemps, même si l’on fait semblant pour sauvegarder les apparences.
Certaines scènes semblent tout droit sorties d’un vaudeville : untel se glisse dans un placard, unetelle file en douce par l’escalier de service, une porte s’ouvre dans un couloir malencontreusement au mauvais moment, engendrant une rencontre que l’on aurait voulu éviter…
Ah, cet escalier de service que l’on emprunte pour ne pas être vu, mais qui est parfois fréquenté comme une autoroute un jour de départ en vacances ! Certains passages sont vraiment cocasses.
D’une façon générale, j’ai trouvé ce volume très drôle, burlesque parfois. Zola y manie merveilleusement bien une ironie extravagante et jubilatoire.

Au milieu de passages légers, il glisse des faits plus graves et n’oublie pas de sortir ses griffes pour égratigner la bonne société dont il aime tant dévoiler les turpitudes et l’hypocrisie.
D’ailleurs, s’il fallait qualifier ce tome d’un mot, ce serait celui-ci : hypocrisie.
Dans ce cycle des Rougon-Macquart, Zola adore mettre en évidence tout ce qui se trame dans la société de son époque. Qu’il s’agisse par exemple de magouilles financières dans La curée ou de jeu d’influences politiques dans Son excellence Eugène Rougon.
Ici, il fustige l’hypocrisie de ses contemporains, et particulièrement celle des gens qui se disent « comme il faut ». Chez certains, tout est fait pour le paraître, mais la face policée et vertueuse qu’ils offrent au monde n’est qu’une façade qui cache une réalité bien vilaine parfois.
Le décor et l’envers du décor : l’auteur montre tout, et le contraste entre les deux est saisissant.

On sent que Zola s’est particulièrement régalé dans ce volume superbement caustique.
Les multiples personnages composent un extraordinaire échantillon des comportements humains, et parmi eux, j’ai tout spécialement apprécié madame Josserand. Son obsession à marier ses filles traverse tout le roman, grotesque et désopilante, et finit par lui revenir comme un boomerang dans la figure.
Bien fait ! se dit le lecteur, hilare et ravi.
Certaines scènes sont féroces et l’on comprend que Zola a pris un immense plaisir à faire ce qu’il avait prévu, lui qui avait écrit vouloir « montrer la bourgeoisie à nu, après avoir montré le peuple, et la montrer plus abominable, elle qui se dit l’ordre et l’honnêteté ». C’est exactement ce qu’il fait, par exemple lorsqu’il raconte la mort du père Vabre : il faut les voir se presser tous autour du lit, jouant des coudes pour avoir les meilleures places, chacun espérant obtenir les dernières faveurs du moribond. C’est absolument abject, mais terriblement drôle !

Cette pot-bouille ne sent vraiment pas bon, mais c’est un régal à lire parce que le comique se mêle habilement au tragique pour composer un tableau terriblement humain.
De plus, ce roman est intemporel : les travers que l’auteur dénonce, tome après tome, chez ses contemporains se retrouvent à notre époque. Les hommes ne changeront sans doute jamais.
Enfin, en ce qui concerne le style, Zola s’est surpassé. C’est beau, c’est limpide, c’est un vrai bonheur de lecture.
C’est une sacrée tambouille que ce fabuleux écrivain nous a cuisinée !
Parfaitement mijotée et très bien assaisonnée, je ne peux que vous recommander d’y goûter à votre tour.
Alors, si cette lecture vous dit, je vous souhaite bon appétit !

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Émile Zola, Classiques, Littérature française

Les Rougon-Macquart, tome 9 : Nana

Nana d’Émile Zola, 1880

♬ Une super Nana, une super Nana… ♬
Elle promettait cette Nana que nous avons vue naître et grandir dans L’Assommoir, et elle ne nous déçoit pas !
Quelle femme pouvait-elle devenir après avoir grandi entre Gervaise et Coupeau, dans les conditions que l’on connaît ?
Une demi-mondaine, une courtisane, une cocotte… allons, cessons de tourner autour du pot : une prostituée. De luxe, certes, mais prostituée.

Nana vend ses charmes, et Dieu sait qu’elle en a ! Elle fait tourner les têtes, elle séduit, elle rend fou.
À son contact, des fortunes et des réputations se font et se défont.
Loin de voir dans son choix de vie un avilissement, Nana y voit une fierté mais surtout une façon d’assouvir sa vengeance. À travers les hommes de la haute société dont elle se joue, elle se venge. Elle leur fait payer le prix de son enfance misérable, et le prix fort, s’il vous plaît.
Pour saisir ses motivations, il faut avoir vu la pauvreté dont elle a souffert dès son plus jeune âge et comprendre qu’elle s’est sans doute juré de ne jamais manquer de rien… quitte à user de méthodes peu catholiques.
Il faut avoir lu L’Assommoir pour bien comprendre Nana.
Elle est prête à tout pour gagner argent et pouvoir : de l’argent qui lui offre un grand train de vie, du pouvoir dont elle use avec délectation sur les hommes qui tombent entre ses griffes.
Nana veut dominer et pour cela elle est prête à utiliser toutes les armes à sa disposition, la plus redoutable d’entre elles étant son physique.
Il faut dire que Nana est tellement belle ! Pas d’une beauté élégante et distinguée, non. D’une beauté éclatante, sensuelle voire érotique.

L’entrée en matière du roman, très réussie, est similaire à celle de Son excellence Eugène Rougon dans lequel le personnage principal s’impose d’emblée, avant d’apparaître physiquement : tous parlent de lui, tout tourne autour de lui, tous les projecteurs sont braqués sur lui. Zola fait monter l’impatience du lecteur, puis fait enfin entrer en scène son personnage.
Pour Nana, il s’agit d’une entrée en scène au sens propre puisqu’elle joue dans une opérette de second ordre, ou troisième, ou plus : un navet en fait, dans lequel elle se montre autant dépourvue de talent que de vêtements… d’où son succès.
Elle joue mal, elle chante mal, mais qu’importe : il se dégage d’elle une sensualité irrésistible, surtout pour les hommes à qui elle fait tourner la tête.
Débordant d’ironie, le premier chapitre m’a ravie !

Nana est le tome de la débauche. D’une autre façon que dans La curée (ici, c’est sur un fond de volonté de revanche sociale que tout se joue), mais avec une même envie de dépeindre de façon féroce la « haute » société, Zola nous montre l’envers du décor.
Que dire de tous ces hommes du monde capables de se ruiner financièrement, moralement ou socialement pour goûter aux charmes de demoiselles fort éloignées de leur univers ? Que cherchent-ils ? le frisson de l’interdit ? Sont-ils tellement blasés de leur vie matériellement aisée qu’ils ont besoin de s’encanailler pour se sentir exister ?

À une époque où l’on n’aime pas montrer ce qui n’est pas convenable, quitte à cacher la poussière sous le tapis, Zola ne recule devant rien, abordant tous les sujets d’une façon crue et osée pour son temps. Paru en 1880, ce neuvième volume des Rougon-Macquart a beaucoup choqué.
Voici une sélection de petits mots doux relevés dans la presse de l’époque :

« Le monstre a paru. Ce n’est pas un monstre que je devrais dire, mais une monstruosité. »
« Se coaliser contre cette invasion, soi-disant naturaliste, qui, par certaines souillures spéciales rappelle l’invasion des Prussiens, me paraît, pour les écrivains français, une oeuvre patriotique, nationale, nécessaire. »
« Le nom de M. Zola est, depuis quelques jours, dans toutes les bouches – même celles d’égout. Il n’est plus question que de son dernier roman, Nana… C’est le scandale du moment.
Qu’est-ce que Nana ? C’est la suite de L’Assommoir.
On sait que M. Zola a un mépris de mauvais bourgeois pour le peuple. Suivant lui, le peuple est condamné à la dégradation, et ne peut se mouvoir qu’entre deux vices : l’ivrognerie et la prostitution. »

C’est plutôt violent, non ?

Et je ne résiste pas au plaisir de recopier un autre « mot doux », un petit poème sobrement intitulé « À Émile Zola » :

« Malgré ta morgue doctorale,
Ordure et « Nana » c’est tout un ;
Si ton livre est de la morale,
Alors la m… est un parfum. »

Si vous vous lancez dans la lecture de Nana en frissonnant d’avance, en vous délectant à l’idée de lire des lignes érotiques, vous allez être déçus. S’il a fait scandale à l’époque, le roman semble de ce point de vue très banal aujourd’hui. Lisez-le donc pour les bonnes raisons : Nana est une peinture féroce et réjouissante des moeurs de certains contemporains d’Émile Zola.

Ni bonne ni mauvaise, ni gentille ni méchante, ou un peu tout cela à la fois, Nana n’apparaît pas responsable de sa vie. Née dans le ruisseau, son seul « talent » est sa beauté provocante qui rend les hommes fous. À maintes reprises, Zola la décrit « blanche et grasse », ce qui à son époque correspond aux canons de la beauté féminine. Qu’aurait-elle pu faire d’autre que de vivre de ses charmes ?
Drôle de Nana qui brûle la chandelle par les deux bouts.
Sacrée Nana qui joue tant avec le feu qu’elle finira par s’y brûler.
Faut-il la blâmer ?
La réponse vers laquelle Zola entraîne son lecteur est non.
Ce n’est pas le choix de vie de Nana que l’écrivain dénonce, parce que de choix, elle n’en n’a pas eu.
Ce qu’il dénonce, ce sont ces hommes qui gravitent autour d’elle et qui profitent d’elle.
Même s’ils en viennent à se perdre et se ruiner, ce sont bien eux les coupables.
Le tableau est bien brossé, le texte fait mouche, le lecteur ne peut plus fermer les yeux sur la réalité.

Si je ne vous ai pas convaincus d’aller faire la connaissance de Nana, peut-être Gustave Flaubert le fera-t-il. Aussi, je lui laisse le mot de la fin.
Voici tout d’abord un extrait de ce qu’il écrivit dans une lettre à sa nièce Caroline :
« Toute ma journée d’hier s’est passée à lire Nana (de 10 h. du matin à 11 h. et demie du soir sans désemparer). Eh bien, on dira tout ce qu’on voudra. Les mots orduriers y sont prodigués, le milieu est ignoble, et il y a des choses d’une obscénité sans pareille. Tous ces reproches sont justes. Mais c’est une oeuvre énorme faite par un homme de génie ! Quels caractères ! Quels cris de passion ! Quelle ampleur ! – et quel vrai comique ! Nana tourne au mythe sans cesser d’être une femme et sa mort est michelangelesque ! »
Et voici une partie de ce qu’il écrivit à Émile Zola lui-même :
« Nom de Dieu ! quelles couilles vous avez ! quelles boules !
S’il fallait noter tout ce qui s’y trouve de rare et de fort, je ferais un commentaire à toutes les pages ! Les caractères sont merveilleux de vérité. […]
Un livre énorme, mon bon ! […]
Maintenant, que vous ayez pu économiser les mots grossiers, c’est possible. Que la table d’hôte des tribades « révolte toute pudeur », je le crois ! Eh bien ? après ! merde pour les imbéciles ! – c’est nouveau en tout cas, et crânement fait ! »


Classiques, Littérature italienne

Les aventures de Pinocchio

Les aventures de Pinocchio de Carlo Collodi, 1883

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Connaissez-vous Pinocchio ?
À cette question, tout le monde ou presque répondra oui. Un oui enthousiaste, franc et massif, un oui plein des souvenirs que chacun a du film de Walt Disney ou de livres lus dans son enfance.
Et pourtant, je fais le pari que vous ne connaissez pas Pinocchio, du moins pas le véritable Pinocchio.
Je m’explique.
La marionnette de Disney s’appelle bien Pinocchio, mais n’est qu’une pâle copie du personnage de Carlo Collodi, et l’histoire de Disney est tellement simplifiée qu’on perd beaucoup de la substance du récit originel.
Le Pinocchio de Collodi est un personnage bien plus complexe que le naïf et gentil petit pantin de Disney. Son évolution au cours du récit est vraiment intéressante : au départ capricieux, entêté et paresseux, il va se transformer au fil de ses aventures, et c’est quand il sera devenu raisonnable et surtout quand il aura compris les bienfaits de l’instruction, qu’il deviendra un « vrai petit garçon ».
Je me permets allègrement de franchir le pas entre le conte et la réalité : ce n’est que grâce au savoir et à l’éducation qu’un bébé peut grandir et devenir un petit enfant, qu’il peut apprendre à dominer ses caprices et à devenir un être libre et responsable. Voilà un message qui me plaît !
N’allez surtout pas croire toutefois que le livre de Collodi soit un bouquin poussiéreux et moralisateur. J’ai beaucoup ri tout au long des trente-six chapitres, car Pinocchio vit des aventures rocambolesques et rencontre toute une série de personnages surprenants.
J’ai beaucoup pesté également contre notre petit héros, maudissant son incapacité à tirer la leçon de ses mésaventures, lui reprochant son ingratitude vis à vis de son « père » Gepetto. Il lui en faut du temps avant de comprendre enfin, et de devenir un fils respectueux et reconnaissant vis à vis de son créateur. Tant mieux, parce que cela m’a offert de très belles heures !
Un des atouts de ce récit est qu’il offre plusieurs niveaux de lecture, selon le degré de compréhension du lecteur. Il peut être apprécié autant par des enfants que par des adultes et constitue une excellente lecture partagée, à l’âge où les enfants savent déjà lire tout seuls mais apprécient encore que papa ou maman lise avec eux.
Alors, lancez-vous, ouvrez le livre de Collodi et partez à la découverte du véritable Pinocchio ! Je fais le pari que vous ne le regretterez pas.
Une petite précision personnelle pour terminer. J’ai lu ce livre en version originale et me suis régalée. Les aventures de Pinocchio a été mon premier  » vrai » livre lu en italien. Le charme de la langue a beaucoup ajouté à mon plaisir de lecture, sans compter la petite fierté d’arriver à suivre… avec quelques petites recherches dans le dictionnaire, je l’avoue !

Classiques, Littérature française

Le dernier jour d’un condamné

Le dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, 1829

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Victor Hugo fut un farouche abolitionniste.
Très jeune, il assista à de nombreuses exécutions, qui le marquèrent d’une façon indélébile. Aussi prit-il sa plume pour écrire Le dernier jour d’un condamné, à seulement vingt-sept ans.
Voici ce qu’il écrit, en parlant de lui-même, dans la préface de l’édition de 1932 :
« L’auteur a pris l’idée du Dernier Jour d’un condamné, non dans un livre, il n’a pas l’habitude d’aller chercher ses idées si loin, mais là où vous pouviez tous la prendre, où vous l’aviez prise peut-être (car qui n’a fait ou rêvé dans son esprit Le dernier Jour d’un condamné ?), tout bonnement sur la place publique, sur la place de Grève. C’est là qu’un jour en passant il a ramassé cette idée fatale, gisante dans une mare de sang sous les rouges moignons de la guillotine. »
Le dernier jour d’un condamné est un texte d’une force terrible, dans lequel ressort toute l’aversion de l’auteur envers la peine capitale, et tout le dégoût que lui inspirent les mises à mort publiques en place de Grève.
Mais si écrire ce livre s’est imposé à Victor Hugo après qu’il ait vu un jeune homme de vingt ans conduit à la guillotine, cela ne lui a pas suffi. Cela n’a que momentanément soulagé sa conscience et il éprouva rapidement l’envie d’oeuvrer davantage contre la peine de mort, et toute sa vie, il utilisa chaque tribune, chaque occasion, pour défendre son abolition.
Toujours dans la préface de l’édition de 1932 :
« Un jour enfin, c’était, à ce qu’il croit, le lendemain de l’exécution d’Ulbach (Louis Ulbach, jeune homme de vingt ans qui avait poignardé sa maîtresse plus jeune encore), il se mit à écrire ce livre. Depuis lors il a été soulagé. Quand un de ces crimes publics, qu’on nomme exécutions judiciaires, a été commis, sa conscience lui a dit qu’il n’en était plus solidaire ; et il n’a plus senti à son front cette goutte de sang qui rejaillit de la Grève sur la tête de tous les membres de la communauté sociale.
Toutefois, cela ne suffit pas. Se laver les mains est bien, empêcher le sang de couler serait mieux.
Aussi ne connaîtrait-il pas de but plus élevé, plus saint, plus auguste que celui-là : concourir à l’abolition de la peine de mort. Aussi est-ce du fond du coeur qu’il adhère aux voeux et aux efforts des hommes généreux de toutes les nations qui travaillent depuis plusieurs années à jeter bas l’arbre patibulaire, le seul arbre que les révolutions ne déracinent pas. C’est avec joie qu’il vient à son tour, lui chétif, donner son coup de cognée, et élargir de son mieux l’entaille que Beccaria a faite, il y a soixante-six ans, au vieux gibet dressé depuis tant de siècles sur la chrétienté. »
Victor Hugo est motivé !
Une haine viscérale de l’exécution capitale l’anime, elle transpire dans chaque page, dans chaque ligne de ce texte.
Au-delà de l’atrocité de la mise à mort d’un être humain, l’auteur dénonce également avec force le comportement de la foule. Une foule souvent en liesse, toute à la joie du « spectacle » auquel elle assiste. C’est indécent, répugnant, écoeurant, et cela souligne encore plus le caractère abject de l’exécution.
Nul être humain normalement constitué ne peut rester insensible à cette lecture.
Je me permets cependant d’ajouter un petit bémol.
Les partisans de la peine de mort dénoncent toujours le fait que l’on s’apitoie sur l’assassin, et que l’on oublie sa (ou ses) victime(s). Ils utilisent souvent cet argument pour dire que le condamné mérite la peine capitale. Aussi, le fait que Victor Hugo ne nous dise rien de ce qu’a fait son condamné me dérange.
Je sais que c’est un choix volontaire, mais pour moi, il peut donner du grain à moudre aux défenseurs de la peine de mort, et ainsi, ne va pas dans le sens voulu par l’auteur.
J’aurais préféré savoir, et sachant, me rendre compte tout de même à travers le texte, que rien ne pouvait justifier cette horreur qu’est la mise à mort d’un être humain. Quels que soient ses crimes.
Oui, la société a le droit, voire le devoir, de se protéger, mais elle doit le faire sans verser dans l’inhumanité.
Nul ne devrait être capable de condamner à mort un être humain de sang-froid.
Malgré cette légère réserve personnelle, je trouve que Victor Hugo a écrit là un superbe manifeste contre la peine de mort.
Un réquisitoire flamboyant, digne des plaidoiries des plus grands avocats.

Émile Zola, Classiques, Littérature française

Les Rougon-Macquart, tome 8 : Une page d’amour

Une page d’amour d’Émile Zola, 1878

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♬ Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses tendres… ♬
Après avoir exploré tour à tour l’appât du gain, les intrigues, l’alimentation, la manipulation et le pouvoir, Zola s’attaque à un sujet ô combien important : l’amour.
Le thème est fort mais l’auteur dit dans sa préface qu’Une page d’amour est une « oeuvre intime et de demi-teinte » : voilà le lecteur prévenu, il ne doit pas avoir de trop grandes attentes, sous peine d’être déçu.
Surtout après la lecture du volume précédent, le sublime L’Assommoir !
Zola, conscient de la puissance de ce dernier, a volontairement écrit un roman plus en retrait, sachant que n’importe quel texte paraîtrait fade en comparaison.
Il l’explique lui-même : « Une page d’amour, écrite entre L‘Assommoir et Nana, a dû être, dans ma pensée, une opposition, une halte de tendresse et de douceur. J’avais, depuis longtemps, le désir d’étudier, dans une nature de femme honnête, un coup de passion, un amour qui naît et qui passe, imprévu, sans laisser de trace. Le titre veut dire cela : une page dans une oeuvre, une journée dans une vie. »
Une page d’amour est donc une sorte de pause dans la lecture du cycle des Rougon-Macquart, avant de repartir vers des tomes plus forts.
C’est dans cet état d’esprit qu’il faut aborder cette lecture sous peine de passer à côté.
La trame est très simple : Hélène, veuve tout entière dévouée à sa fille Jeanne, enfant chétive et souffreteuse, tombe amoureuse du docteur Henri Deberle venu soigner cette dernière une nuit de crise.
Zola nous narre un « coup de passion », un coup de tonnerre dans la vie tranquille et rangée d’Hélène.
Un des intérêts du roman est la façon dont Zola traite les deux « couples », Hélène/Henri et Hélène/Jeanne, ainsi que les obstacles qui se dressent en travers de cette passion soudaine : Henri est marié et Jeanne, enfant capricieuse, jalouse et possessive, n’entend partager sa mère avec personne.
Hélène, honnête et respectueuse des conventions, est douloureusement tiraillée entre son devoir de mère et la possibilité qu’elle entrevoit de s’épanouir en tant que femme.
Le sujet est délicat, et l’on est sur le fil tout au long du récit ; un petit écart et le livre pourrait basculer dans la mièvrerie façon roman de gare. Heureusement, Émile Zola est aux commandes et navigue entre les écueils.
Une page d’amour ne fait pas, selon moi, partie des meilleurs volumes des Rougon-Macquart, et à qui voudrait découvrir l’auteur, ce n’est pas du tout celui que je conseillerais. Mais il est loin d’être inintéressant.
Il ne contient que peu d’action mais quelques très belles scènes dont Zola a le secret, comme le goûter d’anniversaire ou l’enterrement.
Il nous offre de superbes descriptions de Paris. Celles-ci reviennent régulièrement et nous montrent ce qu’Hélène voit de sa fenêtre. La ville est présentée à différentes heures du jour, sous différentes lumières, et l’atmosphère qui se dégage du paysage est à chaque fois un reflet de la psychologie de l’héroïne. J’ai adoré ces pages.
J’ai aimé également les personnages du roman, en particulier Hélène et Jeanne.
Hélène est droite, honnête et vertueuse. Une belle âme.
Jeanne est tyrannique, manipulatrice, perverse même.
Chacune a son caractère propre, et le contraste entre la mère et la fille est vraiment intéressant.
Je referme cette page d’amour, que j’ai appréciée pour ce qu’elle est, et me réjouis du prochain tome à venir : Nana. Nana, personnage apparu dans L’Assommoir, et qui a l’air si prometteur !