Littérature néo-zélandaise, Montagne

Au sommet de l’Everest

Au sommet de l’Everest d’Edmund Hillary, 1955

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Faut-il présenter Edmund Hillary, le vainqueur de l’Everest ?
Pour qui s’intéresse un tant soit peu à l’alpinisme, son livre est incontournable.
Un vrai livre d’aventure. D’un intérêt historique et sportif indéniable, au même titre que celui de Maurice Herzog, Annapurna premier 8 000. Mais la comparaison entre les deux ouvrages s’arrêtera là.
Maurice Herzog est un individualiste, avide de gloire personnelle. Il a une fâcheuse tendance à tirer la couverture à lui. Dans son récit, c’est lui, de façon quasi systématique, qui a les bonnes idées, qui voit juste, qui prend les bonnes décisions, les autres n’apparaissant souvent que comme de simples faire-valoir. Lors de l’assaut final, Louis Lachenal craignant à juste titre pour ses pieds qui commençaient à geler, suggéra prudemment de faire demi-tour. Herzog s’entêta, déclarant qu’il était prêt à continuer tout seul. Lachenal, agissant en guide, ne voulut pas l’abandonner ce qui l’aurait sans doute condamné, et l’accompagna au sommet… on connaît les conséquences.
À l’inverse, Edmund Hillary demande au sherpa Tensing qui l’accompagne lors de l’assaut final « penses-tu qu’il faut continuer ? » devant un passage particulièrement dangereux. Et durant cette ultime escalade, il ne prend jamais de décision tout seul, mettant son compagnon d’aventure au même niveau que lui.
Tout au long du texte, l’auteur montre un grand respect et une grande reconnaissance vis à vis de ce sherpa ultra compétent et courageux, ainsi que vis à vis des autres membres de l’expédition sans qui la conquête du sommet n’aurait pas été possible, et même vis à vis des membres des expéditions précédentes, qui ont apporté chacun une petite (ou grande) pierre à l’édifice, si j’ose dire, et ont finalement permis le succès de l’équipe de 1953.
Le récit d’Hillary se découpe en deux parties distinctes, mais liées sur le plan sportif.
Une première partie nous raconte les marches d’approches ainsi que différentes ascensions effectuées autour de l’Everest, pour s’entraîner et observer la montagne de plus près.
Les différents épisodes peuvent paraître fastidieux, mais je trouve que leur place dans le livre est capitale pour bien comprendre les moyens et les connaissances de l’époque. Ce que l’on appelle communément « camp de base » n’existait pas ; on n’avait même aucune idée de l’endroit où il serait judicieux de l’établir. Et de même pour tous les camps d’altitude.
Chaque expédition a testé, essayé, fait des choix qui se sont avérés bons ou mauvais, a repéré des zones à risque, d’autres plus favorables. Hillary a participé à certaines d’entre elles, mais il est pleinement conscient qu’il est redevable à toutes. La moindre petite parcelle de connaissance obtenue par le passé lui a été utile.
La seconde partie est le récit de l’expédition victorieuse de 1953.
L’auteur nous raconte tout dans les moindres détails, et à l’aide de phrases très simples, il arrive à rendre son récit terriblement vivant.
Il vaut sans doute mieux avoir quelques connaissances du vocabulaire de l’alpinisme, sinon on risque d’être un peu rebuté par tous les termes techniques. Mais pour un passionné, la lecture est un régal.
La description des différentes traversées de l’incontournable et redoutée cascade de glace fait frémir. On tremble avec les alpinistes et les sherpas. Les étapes et les camps successifs sont racontés avec le même réalisme.
Ce qui transparaît tout au long du récit, ce sont les « ingrédients » du succès : un chef et organisateur exceptionnel (John Hunt), une équipe soudée, des grimpeurs hors pair. Hillary met bien en avant le rôle majeur de Charles Evans et Tom Bourdillon, envoyés en première vague vers le sommet, et sans qui la victoire finale n’aurait sans doute pas été possible. John Hunt n’est pas oublié : il apparaît tel un général qui prépare son plan de bataille, qui assigne son rôle à chacun, et sait admirablement gérer les forces et les défaillances des uns et des autres. Jusqu’au sacrifice ultime : voyant qu’il n’est pas en condition physique suffisante, il préfère laisser à d’autres la possibilité de tenter le sommet, et retourne à un camp inférieur, accompagner des membres de l’expédition affaiblis par le travail en altitude et qui doivent redescendre.
Hillary écrit : « Jamais John Hunt ne m’a paru plus admirable qu’en prenant cette résolution difficile ».
Les dernières heures avant l’arrivée au sommet sont pleines d’émotions. La fatigue, le doute, la peur et la joie mêlées sont très bien rendus.
Avec des mots simples et sincères, Hillary nous fait revivre ces moments exceptionnels. Le franchissement du dernier ressaut, obstacle que d’autres avaient prédit insurmontable, est raconté d’une façon saisissante. J’ai trouvé ces pages particulièrement émouvantes, surtout en pensant que ce fameux passage a été depuis baptisé « ressaut HIllary ».
Monsieur Hillary, je savais déjà que vous étiez un grand alpiniste. Comme beaucoup d’autres, je connaissais vos exploits. Mais dans votre livre, j’ai découvert bien plus. J’ai découvert que vous étiez un homme bon, un homme honnête, un homme loyal. Au sommet, vous avez pensé à Mallory et Irvine, disparus sur l’Everest en 1924, et dont on ne sait pas s’ils sont allés ou non jusqu’au bout. Vous avez pensé à eux et vous avez cherché une trace éventuelle de leur passage, alors que si vous en aviez trouvé une, ils auraient été à titre posthume les vainqueurs du toit du monde !
Quelle honnêteté !
Vous êtes un homme bien. RIP Monsieur Hillary.

Une lecture passionnante de bout en bout, qui gagne à être complétée par celle de Victoire sur l’Everest de John Hunt : la même histoire, racontée par le chef d’expédition.