Poursuite de Joyce Carol Oates, 2019
« Familles, je vous hais ! disait Gide (qui pourtant en fit une). Disons plus simplement, à deux lettres près : Familles, je vous ai. » écrivit Hervé Bazin dans Ce que je crois.
La famille. Vaste sujet ! Passionnant, mais complexe.
Et Joyce Carol Oates, qu’en pense-t-elle de la famille ?
Si on lui posait la question, la réponse ne serait certainement pas simple. Mais est-ce bien la peine de la lui poser ?
Non : il suffit de la lire parce qu’elle en parle abondamment dans ses romans.
Elle adore mettre en scène des familles compliquées (Les chutes) ou qui dysfonctionnent (Petite soeur, mon amour). Des familles parfaites… en apparence seulement (Carthage).
Elle aime creuser le thème des blessures d’enfance. Elle l’a fait de façon magistrale dans Mudwoman et continue de l’étudier ici dans Poursuite, d’une manière complètement différente. Voilà l’un des aspects de l’œuvre de cette géniale écrivaine qui me la fait tant aimer : on retrouve des constantes dans ses romans, on reconnaît sa « patte », mais elle sait se renouveler.
Malgré le grand nombre d’ouvrages que j’ai déjà lus d’elle, je ne m’en lasse pas, bien au contraire. Plus je la lis, plus je l’apprécie.
Le premier chapitre est un modèle du genre : Joyce Carol Oates nous plonge immédiatement dans le bain, nous intrigue et nous donne irrésistiblement envie de continuer.
Un très grave accident et « le jeune époux » qui interroge sa jeune épouse :
« À quoi étais-tu en train de penser quand c’est arrivé ? Il faut que tu t’en souviennes.
[…]
Le lendemain matin de notre mariage. »
Que s’est-il donc passé ? Et à quoi la jeune mariée pouvait-elle bien penser ?
Pour le découvrir, il va vous falloir lire la suite mais, attention, je me dois de vous mettre en garde.
Poursuite est psychologiquement très violent.
C’est le livre le plus acide, le plus poisseux, le plus glauque que j’aie lu de mon auteur contemporain préféré.
C’est un texte pervers et venimeux… mais c’est du venin craché avec talent, alors j’aime ça, tout comme je peux apprécier un film violent si la violence n’est pas gratuite ou purement provocante.
J’ai aimé Orange mécanique de Stanley Kubrick, ultra violent mais pas sans raisons, et surtout pas sans talent : de même, j’ai adoré cette lecture même si elle est dérangeante… ou peut-être justement parce qu’elle est dérangeante.
Joyce Carol Oates nous parle des blessures du passé, et du mal engendré par les non-dits. Elle le fait dans un format inhabituel pour elle (220 pages seulement), mais c’est du concentré.
Intense et efficace.
La brièveté du texte le rend encore plus fort, c’est comme un coup extrêmement brutal et soudain que l’on n’a pas vu venir et dont on n’a pas le temps de se remettre.
J’ai terminé assommée, sonnée comme un boxeur mis à terre.
Poursuite est un roman complexe dont la lecture demande de l’attention mais qui est terriblement addictif. Joyce Carol Oates y est plus féroce que jamais et réussit à me surprendre encore après tant de livres déjà lus : voilà la marque de fabrique d’un grand écrivain, non ?
À quand le prix Nobel de littérature pour cette femme de lettres si prolifique et bourrée de talents ?
Hélas, ce prix devenant bien plus politique que littéraire, je désespère de la voir un jour récompensée.
PS : Je conseillerais Poursuite à ceux qui connaissent déjà et aiment Joyce Carol Oates, ce n’est à mon avis pas le bon choix pour la découvrir.