Littérature italienne, Montagne

Everest : La légende du géant himalayen

Everest : La légende du géant himalayen de Roberto Mantovani, 2007


N’avez-vous pas sur vos étagères quelques « beaux livres » reçus en cadeau, et dont vous avez seulement feuilleté distraitement les pages ? Des livres qui n’ont franchement pas grand intérêt, avec des textes insipides et des images banales ?
Si la réponse est non, vous avez de la chance, mais moi, j’en ai un certain nombre : des cadeaux de gens bien intentionnés sans doute, mais voilà, j’ai développé une vraie méfiance envers ses satanés « beaux livres » ! Une couverture rutilante cache quelquefois un contenu bien pauvre.
Alors quand j’ai vu ce livre sur l’Everest, j’ai pensé : « un de plus, avec les photos classiques déjà vues et revues ailleurs et quelques textes convenus ».
Eh bien, j’avais tort, et je m’en réjouis !

Ce livre est une merveille.
Tout d’abord, parce qu’il est très complet.
La première partie, historique, est passionnante. On remonte au dix-neuvième siècle, et l’on assiste aux premiers travaux de topographie. Ce qui nous semble évident maintenant avec toutes les cartes et les informations dont nous disposons, ne l’était pas du tout à l’époque. On se doutait que le plus haut sommet du monde se trouvait dans l’Himalaya, mais on ne savait pas lequel c’était. Les instruments utilisés n’étaient évidemment pas ceux d’aujourd’hui. Les topographes se heurtaient à des difficultés techniques, mais aussi politiques, puisque le Tibet, le Népal, la Chine, le Sikkim et le Bhoutan leur barraient le passage : « l’interdiction d’accéder aux sites imposa parfois aux militaires britanniques de placer leurs instruments de mesure à 250 kilomètres des montagnes ». On imagine bien le côté pratique !
J’ai trouvé ce chapitre vraiment bien à sa place dans cet ouvrage : on oublie trop souvent tout le travail qui a été nécessaire pour arriver aux connaissances que nous avons actuellement. Et puis toutes ces pages sont richement illustrées de cartes, de photographies d’instruments d’époque ou de pionniers de la cartographie… à commencer par George Everest, bien sûr.

Viennent ensuite les récits des différentes approches, des différentes tentatives de se hisser sur le toit du monde. La nature humaine est ainsi faite : dès que la certitude a été acquise que l’Everest était bien le plus haut sommet de notre planète, certains ont ressenti l’irrésistible envie de le vaincre.
J’ai une admiration sans borne pour tous ces pionniers : même s’ils n’ont pas connu le succès, ce sont leurs efforts successifs qui ont permis la victoire de 1953. Ce livre leur rend un hommage largement mérité. Et je me dis qu’il faut une sacrée dose de courage pour se lancer dans des voies inconnues, sans savoir les difficultés ou les dangers que l’on va y rencontrer.
Suivre une voie déjà ouverte n’est absolument pas la même chose ! C’est pour cela que l’histoire de l’alpinisme retient à juste titre toutes les « premières » comme étant des évènements capitaux.

Un chapitre entier est naturellement consacré à la victoire d’Edmund Hillary et de Tenzing Norgay, abondamment illustré d’images d’archives. le texte donne un récit assez complet de l’expédition, vivant et très intéressant.
Suivent enfin les récits d’expéditions marquantes, pour différentes raisons, et la variété des aventures fait que chaque page révèle ses surprises, ses anecdotes, ses joies ou ses drames.

Tout au long du livre, les illustrations sont abondantes, judicieusement choisies, bien en rapport avec le texte, et par-dessus tout absolument sublimes.
L’éditeur n’a lésiné ni sur la qualité, ni sur la quantité. La collecte de tous ces clichés a certainement nécessité un travail considérables, et le résultat en vaut largement la peine. La plupart des photos ont été prises par des alpinistes lors d’expéditions, elles reflètent leur passion, elles sont authentiques. Et surtout, au-delà de la beauté des paysages, elles réussissent souvent à nous faire vivre les émotions de l’intérieur, et nous faire sentir la puissance de la nature d’un côté, la volonté mais la petitesse de l’homme de l’autre.
En particulier, le passage redouté de la cascade de glace (l’Ice Fall) apparaît dans toute sa beauté sauvage, et montre toute sa dangerosité.
On comprend bien que l’Everest n’est pas un terrain de jeu, que son accès devrait être réservé à des alpinistes aguerris, et c’est là le seul petit bémol que j’ajouterai : le scandale des ascensions « commerciales » est à peine évoqué, et critiqué d’une façon pas assez virulente à mon goût. C’est pourtant la conjonction de la cupidité, de l’inconscience et de la bêtise humaine, qui est à l’origine de nombreux décès, qui dénature le site (certains passages difficiles sont équipés en début de saison de cordes fixes, d’échelles et autres éléments artificiels qui ne devraient absolument pas s’y trouver), et empêche finalement l’accès aux puristes : pouvez-vous imaginer que certains jours, des passages soient tellement saturés de monde qu’il faille faire la queue pour avancer… comme à un péage d’autoroute un jour de départ en vacances ?

Personnellement, l’alpinisme m’a toujours fait rêver, et me fera toujours rêver.
Je n’ai ni le niveau technique, ni le niveau physique pour m’attaquer à des sommets de l’envergure de l’Everest, alors je me contente de randonner raisonnablement et de voyager via des textes et des images et pour cela, ce livre a parfaitement rempli sa mission de compagnon de route.
Un livre à s’offrir ou à offrir à tous les passionnés de montagne.

Littérature italienne

Terres lointaines

Terres lointaines de Walter Bonatti, 1997


« Mon choix n’est pas une trahison envers la montagne, mais l’intégration de mon amour pour la nature tout entière. »
C’est avec ces mots (extraits de son ouvrage Montagnes d’une vie) que Walter Bonatti explique son choix de vie : après avoir brillé dans l’alpinisme extrême, le grimpeur italien décide d’arrêter de s’attaquer aux parois verticales pour se consacrer à l’exploration horizontale de la planète.

Pendant de nombreuses années, il va parcourir le globe, sillonner tous les continents, cherchant moins l’aventure que les rencontres et la communion avec la nature.
La quatrième de couverture nous informe que l’auteur « cherche à rétablir avec la nature une harmonie perdue, en faisant appel aux instincts primitifs de l’homme que la civilisation urbaine n’a pas encore totalement effacés » et c’est tout à fait ce que l’on va trouver dans ces pages.

Les sens toujours en éveil, Walter Bonatti est un fin observateur et il partage ici ses périples les plus marquants.
Intelligent, cultivé et l’esprit ouvert, il nous offre des récits riches et variés dans lesquels se mêlent géographie, géologie, histoire mais aussi émerveillement et admiration devant les beautés de notre planète.
L’aventurier italien raconte avoir toujours rêvé, devant les paysages de son enfance ou lors de nombreuses lectures effectuées à l’adolescence, et ses différents récits montrent qu’il a réussi à transformer ses rêves en réalité.

Volumineux, le texte n’est pas lassant du tout parce qu’il offre une alternance de narrations, de descriptions et de réflexions pertinentes.
Comme à son habitude, Walter Bonatti écrit très bien, dans un style assez soutenu mais pas lourd du tout. Il sait également faire preuve d’humour ou de poésie à l’occasion. Et d’originalité presque constamment.
Je vous laisse déguster ce passage dans lequel il raconte son séjour chez une tribu masaï : « Pour ne pas froisser […] le chef de la tribu qui m’hébergeait, j’avais fini par me nourrir du même aliment qu’eux, à base de lait fermenté dans du sang de boeuf. Mais il ne me fut pas facile de m’en accommoder. » Miam !

La variété des expériences est époustouflante et fait prendre conscience d’une façon tangible de la diversité des modes de vie sur terre ainsi que de l’extraordinaire richesse de la faune et de la flore.
Écrit en 1997, ce livre témoigne d’une conscience écologiste aiguë.
De l’écologie véritable, celle qui prône le respect de la nature et des êtres vivants qui l’habitent. Pas celle qui vous impose des voitures électriques dites « propres » dont les batteries sont de grandes consommatrices de métaux extraits grâce à l’exploitation d’enfants (voir premier lien en fin d’avis). Pas celle qui couvre nos paysages d’éoliennes au rendement douteux (sauf pour les industriels qui les vendent et les implantent) et dont la fabrication n’est pas écologique du tout (voir second lien en fin d’avis).

Walter Bonatti nous dit : « Je peux dire que j’ai passé une grande partie de ma vie au contact des plus authentiques et des plus fortes manifestations de la nature. Au coeur de l’action, affrontée le plus souvent dans la solitude, et toujours en tout cas en me tenant à l’écart d’une quotidienneté sociale chaotique et étouffante, j’ai souvent éprouvé la nécessité de m’interroger, de méditer sur certaines choses. Avant tout sur le besoin qu’a l’homme de retrouver sa dimension d’être humain, dont il est dans une certaine mesure sorti, et sur l’obligation, pour tous, d’adopter une attitude respectueuse face à la grandeur et à l’unicité de la nature. Tel est le message que je souhaite transmettre à travers le récit de mes expériences. »

Message reçu !

Walter Bonatti décrit en ces termes la première ville rencontrée après de multiples jours passés dans le monde dit sauvage : « c’est le visage de la civilisation, séduisante et pourtant décevante. C’est le débarcadère du réel. »
Voilà exactement le sentiment qui est le mien, de retour dans la « vraie vie » après avoir refermé ce livre enchanteur qui m’a fait voyager et voir tellement de merveilles !

Je recommande cet ouvrage à tous les amateurs d’aventures : il vous fera voyager et rêver, et vous donnera peut-être envie de partir à votre tour à la découverte (respectueuse) des richesses cachées de notre planète.

https://www.ouest-france.fr/economie/entreprises/dossier-pour-nos-batteries-de-smartphones-ou-voitures-des-enfants-creusent-en-afrique-6971213

https://www.francebleu.fr/infos/environnement/les-eoliennes-sont-un-scandale-ecologique-et-financier-assez-grave-1571678618

Littérature italienne, Montagne

L’affaire du K2

L’affaire du K2 de Walter Bonatti, 2001 pour l’édition française


La montagne, l’air pur des sommets, les alpinistes nobles et passionnés, que c’est beau !
Sauf que, certaines fois, l’histoire n’est pas si pure, si noble et si belle. Et cette affaire du K2 en est une illustration.
« Cette nuit-là, j’aurais dû mourir… » écrit Walter Bonatti. Et il ne mâche pas ses mots : « homicide raté », « faux historique », mensonge d’État ». Mais que s’est-il donc passé qui justifie une telle virulence ?

Ce livre n’est pas un roman, c’est une compilation de choses diverses telles que le récit de Bonatti, les éléments du procès (parce que cette affaire sordide a débouché sur un procès en diffamation, que Bonatti a gagné), puis différents documents, lettres, témoignages, qui donnent l’éclairage final.
Ce n’est pas une histoire d’alpinisme, mais une affaire juridique, et surtout une lutte acharnée de la part de Bonatti pour faire éclater vérité.
Le début est un peu confus, mais les différents éléments qui suivent permettent petit à petit de bien comprendre l’affaire et de se faire une opinion.

Où ? Qui ? Comment ? Et surtout, pourquoi ? Bonatti raconte tout, explique tout. Et la vérité est saisissante. Mais attention, ce n’est vraiment pas beau à voir.

Où ?
Le K2 est la seconde montagne du monde par la hauteur, mais première par sa dangerosité. Située au Pakistan, sa géométrie en fait un sommet bien plus difficile à gravir que l’Everest.

Qui ?
Des Italiens. En 1954, soit un an après la conquête de l’Everest, une expédition menée par le géologue-alpiniste-explorateur Ardito Desio s’attaque au K2.

Comment ?
Après des semaines de travail acharné pour établir les camps I à VIII, Achille Compagnoni et Lino Lacedelli sont désignés pour l’assaut final. Pour cela, ils doivent établir le camp IX, et y attendre les grimpeurs chargés de leur apporter l’oxygène indispensables pour la dernière étape. C’est Walter Bonatti, et un porteur pakistanais, Mahdi, qui sont choisis pour monter les précieuses bouteilles. C’est une tâche essentielle pour la réussite de l’expédition, mais terrible : l’altitude rend les moindres mouvements épuisants, le terrain est particulièrement difficile, et la charge affreusement lourde.
Les deux hommes ne ménagent pas leurs efforts, et à la tombée de la nuit arrivent à l’endroit convenu. Et là, tout bascule. Compagnoni et Lacedelli ne sont pas là : pas de tente, aucune trace. Bonatti et Mahdi appellent, s’époumonent longuement, et finissent par obtenir une faible réponse venue de plus haut leur intimant de laisser sur place les bouteilles et de redescendre… puis plus rien. Injonction totalement insensée : il fait nuit, et la descente n’est pas envisageable, elle serait suicidaire.
Abandonnés par Compagnoni et Lacedelli qui restent cachés et muets dans leur tente, Bonatti et Mahdi n’ont pas d’autre choix que de rester sur place. Bonatti, à l’aide de son piolet, taille une minuscule plateforme où les deux hommes vont se poser et passer la nuit. Sans aucun équipement, sans aucune protection, sans vivres. Un bivouac forcé à plus de huit mille mètres, dans des conditions (température, vent) inhumaines.
Le récit de cette nuit est littéralement glaçant. C’est une lutte de chaque instant pour survivre. Il n’est pas question de dormir : tout endormissement serait fatal.
Que les heures s’écoulent lentement ! Les deux hommes s’en sortent miraculeusement mais ne sont pas indemnes : Mahdi, victime de gelures, devra subir à son retour plusieurs amputations, quant à Bonatti, si sa constitution spécialement robuste et son entraînement hors-normes lui ont permis de s’en sortir sans dommages physiques, il restera marqué à tout jamais. On le serait à moins. « Un fait tel que celui-là marque d’une façon indélébile l’âme d’un jeune homme et déstabilise son assiette spirituelle encore insuffisamment affermie. »

Pourquoi ?
Quelle raison a bien pu poussser Compagnoni et Lacedelli à abandonner Bonatti et Mahdi et à leur faire risquer leur vie dans un bivouac qui reste le plus (tristement) célèbre de l’histoire de l’alpinisme ? Aucune raison valable ! Rien ne peut justifier ces actes. On peut légitimement penser qu’ils voulaient être certains de ne pas avoir de concurrence pour l’assaut final : ils craignaient sans doute Bonatti, jeune grimpeur talentueux et plein d’énergie. On comprend bien que celui-ci parle d’homicide raté. Non, ses mots ne sont pas trop durs.
Je vous avais prévenus que cette affaire était bien vilaine… mais attention, ce n’est pas fini.
Les Pakistanais, furieux de voir ce qui est arrivé au porteur Mahdi, exigent des explications. Et c’est là qu’arrive le nauséabond.
Le succès de l’expédition (car Compagnoni et Lacedelli sont parvenus au sommet, grâce à l’oxygène apporté par Bonatti et Mahdi !) prime avant tout. C’est capital politiquement pour l’Italie qui sort de la guerre et doit redorer son image après les années de fascisme, et c’est important pour l’ego d’Ardito Desio.
La vérité n’est pas belle ? Eh bien, qu’à cela ne tienne : on va la maquiller.
Le bivouac forcé, les gelures de Mahdi ? On va tout mettre sur le dos de Bonatti. Comme l’écrira plus tard Robert Marshall : « Pauvre Bonatti… [il] était le bouc émissaire idéal ». Eh oui, Walter Bonatti était jeune, naïf et confiant. Il ne s’est pas rendu compte tout de suite de l’ampleur qu’allait prendre l’affaire, et quand il a ouvert les yeux, c’était trop tard. Et c’est ainsi que s’est établie une version officielle de l’ascension qui le mettait en cause, l’accusant d’avoir voulu doubler Compagnoni et Lacedelli dans la course au sommet, d’avoir volontairement bivouaqué loin des deux hommes et d’avoir lui-même consommé de l’oxygène des bouteilles qu’il transportait, mettant en péril le succès de l’expédition.
Ainsi, un jeune homme de vingt-quatre ans qui a tant donné pour la réussite de l’équipe italienne, se trouve doublement trahi : abandonné en pleine nuit par deux alpinistes de son équipe, le voilà ensuite publiquement couvert de honte.
Bonatti luttera sans relâche pour faire rétablir la vérité sur la conquête du K2 et pour faire changer la version officielle erronée. Ce sera le combat d’une vie. Un combat solitaire car Bonatti a été abandonné par tous. Physiquement sur la montagne, mais aussi moralement par ceux de son équipe, par le chef Ardito Desio, par le club alpin italien… par tous.
Quarante ans plus tard, devant des preuves irréfutables exhumées par un médecin australien passionné d’alpinisme (Robert Marshall), qui a voulu faire la lumière sur cette affaire, le comité alpin italien a, du bout des lèvres, consenti à admettre que Bonatti avait joué un grand rôle dans la réussite de l’expédition… mais c’est tout ! Point de révision de la version officielle, pourtant désormais ridicule et dont tout le monde sait qu’elle est fausse. Quant à Compagnoni et Lacedelli, ils n’ont jamais admis qu’ils avaient menti.
Il faudra attendre cinquante ans pour que la vérité soit enfin rétablie. Quel gâchis !

Walter Bonatti est décédé en 2011, à l’âge de quatre-vingt-un ans. C’était un alpiniste remarquable, qui aurai dû avoir une brillante carrière, mais certains en ont décidé autrement.
Son livre est un cri, un cri désespéré d’un homme a qui l’on a refusé la vérité, d’un homme qu’on a essayé de tuer moralement, après avoir essayé de le tuer physiquement lors de cette épouvantable nuit de juillet 1954.
RIP monsieur Bonatti, vous pouvez avoir la conscience tranquille… ce n’est pas le cas de certains autres protagonistes de cette affaire.

Si vous voulez en savoir plus, voici un excellent article paru dans le Monde du 28 août 2001 :
http://www.masse-fr.com/Folie%20du%20K2%20-%203.html

Littérature italienne, Montagne

Requiem pour un alpiniste

Requiem pour un alpiniste de Mario Rigoni Stern, 2003


« Arriver là-haut un matin d’été après que, la nuit, un orage a lavé le ciel et la terre, s’arrêter en silence pour regarder, et demeurer sous le charme parce que la beauté est telle que le regard ne sait où se poser, et on en a le souffle coupé. Rester ici jusqu’au couchant à écouter en silence la montagne raconter des légendes, des histoires de bergers, d’alpinistes, de guerre. »
Beau programme, non ?

L’auteur italien Mario Rigoni était chasseur alpin. Il participa à de nombreux combats, fut fait prisonnier par les Allemands lors de la seconde guerre mondiale et passa de longs mois en captivité.
Connaissant cet aspect de sa biographie on comprend mieux les thèmes qui prédominent dans l’oeuvre de l’écrivain : les guerres et la montagne.

Requiem pour un alpiniste est un recueil de chroniques ayant pour sujet les conflits auxquels l’Italie a pris part au XXe siècle.
Mario Rigoni a le sens de la concision et en une vingtaine de petits textes arrive à faire ressortir le dénominateur commun : quel que soit le lieu, quelle que soit l’époque, la guerre est une horreur dont tous les hommes des deux camps sont victimes, et pas que les morts.

La montagne est belle. Les paysages sont sublimes et dégagent majesté et sérénité.
La guerre est laide.
Tant de beauté, tant de laideur…
Les deux ne sont en principe pas faits pour se rencontrer, mais c’est sans compter sur la folie des hommes.
Oui, la guerre est laide. Tout le temps. Partout. Ça ne se discute pas.
Pour finir sur une note plus gaie, je reprends les mots par lesquels la traductrice termine sa préface : « La nature l’emporte toujours sur l’oeuvre de mort qu’est la guerre. Telle est, peut-être, l’espérance ultime que l’on peut retirer de la lecture de ces récits : Mario Rigoni Stern ne la renierait pas. »
Un optimisme que j’ai du mal à partager, je l’avoue.

Une lecture qui ne peut pas laisser insensible, surtout en ce moment, hélas.

Littérature italienne, Montagne

Le sur-vivant

Le sur-vivant de Reinhold Messner, 2015


Reinhold Messner est incontestablement un « personnage » dans le milieu de l’alpinisme. Un homme à part, un homme exceptionnel.
Anticonformiste autoproclamé, il est loin de faire l’unanimité. Si ses exploits sportifs ne peuvent que susciter l’admiration, le bonhomme agace beaucoup, voire inspire parfois des réactions hostiles assez violentes.
Il faut dire qu’il a une sacrée personnalité, n’hésite pas à donner son avis sur tout (et tous), à critiquer ouvertement ce qui d’après lui mérite de l’être, et à donner des leçons. Quitte à se montrer souvent très arrogant et méprisant envers ses détracteurs.
Pour lui, ceux qui le jugent mal font preuve de faiblesse ou sont jaloux, et il les envoie promener d’une phrase condescendante : « Ne faut-il pas être indulgent avec les perdants ? » Voilà qui explique que Messner ne plaise pas à tout le monde.

Dans ce livre écrit pour ses soixante-dix ans, on trouve à travers soixante-dix chroniques l’essentiel de Reinhold Messner : sa vie d’alpiniste, sa vie de citoyen, sa vie d’homme engagé pour de multiples causes.
Par petites touches successives, un portrait se dessine.
Ce qui frappe avant tout, c’est cette volonté farouche d’indépendance qui est l’une de ses marques de fabrique et qu’il clame une fois de plus haut et fort dans ce recueil.
« Je refuse qu’on me contrôle » dit-il d’une façon générale, ou à propos d’internet et des moyens de communication « Je ne supporte pas qu’on puisse me joindre à tout moment », ou encore « Je me méfie des idéaux imposés. Comme des normes sociales universelles. » Des phrases de ce genre, on peut en extraire tant qu’on en veut. L’insoumission est vitale chez Messner.
Ce que l’on remarque aussi, c’est une vitalité débordante. Qui transparaît dans ses exploits sportifs, et qui se voit sur son visage : une grande bouche énergique, comme prête à avaler le monde entier, et un regard puissant et déterminé. Des caractéristiques que l’on trouve déjà sur les photos (bienvenues dans le livre) de Reinhold enfant.
À ce sujet, on peut se demander si l’enfance de Messner n’explique pas en grande partie l’adulte qu’il est devenu. Grandir dans cent mètres carrés au milieu d’une fratrie de neuf enfants, habiter un petit village entouré de montagnes : voilà qui a pu donner des idées d’aventure et d’évasion à un enfant qui a manifesté dès le plus jeune âge son goût pour l’indépendance.

En tout cas, le petit Reinhold est devenu le grand Messner, un alpiniste de génie, doté de qualités physiques et psychologiques incontestables qui lui ont ouvert les portes des plus grands exploits : les quatorze 8000, tous sans oxygène, dont la première de l’Everest sans oxygène, l’ascension de sommets de plus de huit mille mètres en « technique alpine », c’est à dire sans portage ni installations de camps par des sherpas, etc.
La liste serait trop longue si l’on devait tout énumérer.
Il y a dans l’histoire de l’alpinisme un avant et un après Messner, tant il a réalisé des choses dont tous les spécialiste disaient qu’elles étaient impossibles.

Le sur-vivant n’est pas exempt de défauts (comme son auteur !). Certains passages sont moins réussis, d’autres ne sont pas très bien rédigés (ou traduits ?). On trouve enfin, vu la forme du livre, des redites.
Mais qu’importe ! On pardonne volontiers ces petites faiblesses, largement compensées par l’intérêt général. Et par quelques passages très originaux, comme dans le chapitre « Temps ».
Certains faits de l’histoire de l’alpinisme sont évoqués de façon plutôt succincte (l’histoire de Bonatti, ou l’expression « la conquête de l’inutile » utilisée à plusieurs reprises, calquée sur le titre du livre de Lachenal « les conquérants de l’inutile »), et je pense que certaines choses pourront du coup paraître peu claires pour les lecteurs non initiés, mais mise à part cette petite réserve, ce livre est une très bonne façon de découvrir Reinhold Messner, ou d’apprendre à mieux le connaître, car il n’y parle pas que de montagne, il y parle aussi beaucoup de lui-même.
La fin en particulier est assez touchante car le génial alpiniste s’y livre comme jamais : il parle sans détours du vieillissement, de la baisse de ses capacités physiques et intellectuelles.
Mais attention, le vieux lion rugit encore ; il pousse encore ses « coups de gueule », il fustige, il dénonce… Messner n’est pas fini !
« Se donner le droit de choisir son chemin oblige en quelque sorte à se réaliser et à réussir sa vie. » : Reinhold Messner a choisi son chemin, et il a incontestablement formidablement réussi.

Si le personnage vous intéresse, je vous conseille vivement le documentaire (visible sur internet) « Messner – Profession : alpiniste ». Vous y découvrirez un homme hors du commun, et, ce qui ajoute au plaisir, de magnifiques images de montagne.

Littérature italienne, Montagne

Sans jamais atteindre le sommet

Sans jamais atteindre le sommet de Paolo Cognetti, 2018

Avec Paolo Cognetti, mes attentes sont fortes. Cet auteur que j’avais découvert dans l’enchanteur Le garçon sauvage : carnet de montagne et qui m’a conquise avec Les huit montagnes, sait merveilleusement faire jaillir de la poésie avec des mots simples.
Il écrit avec finesse et sensibilité, et parle magnifiquement de la montagne : il ne peut que me toucher.

À la recherche d’une montagne authentique, préservée de l’urbanisation et du développement, il part pour le Dolpo, petit district du Népal : « une région au-dessus de 4 000 mètres que ni les moussons ni les routes n’atteignent, la plus aride, la plus lointaine et la moins peuplée du pays. Je me disais que, là-haut, peut-être, je pourrais voir le Tibet qui n’existait plus, qu’aucun de nous ne pourra plus voir : tel était le voyage que je désirais pour mes quarante ans, idéal pour faire mes adieux à cet autre royaume perdu qu’est la jeunesse. »

Paolo Cognetti accorde plus d’importance au chemin lui-même : c’est là que tout se joue, « sans atteindre les sommets », et le cheminement est tout autant intérieur qu’effectué sur les sentiers. Cette philosophie sous-tend le livre.

L’aventure est partagée avec trois compagnons : deux humains et un livre. Un livre fétiche dont Paolo Cognetti est complètement imprégné, dont il nous donne de nombreux extraits et nous parle abondamment ; c’est cet aspect de l’ouvrage qui m’a le plus intéressée.
Le léopard des neiges de Peter Matthiessen apparaît de-ci de-là et son histoire s’entremêle avec le récit du présent.

Paolo Cognetti vit en permanence en communion avec la nature, qu’il s’agisse de l’environnement ou des animaux, cela se sent à chaque instant, y compris dans les dessins qui parsèment son texte.
Je ne lui connaissais pas ce talent de dessinateur et suis agréablement surprise. Ces illustrations traduisent son amour des paysages, de la nature et de ceux qui y habitent : les hommes et les animaux. Elles sont simples, épurées, ont un charme naïf, voire enfantin, et traduisent tout à fait le respect et l’humilité dont il fait preuve face au monde qui l’entoure.

Une lecture agréable même si elle manque parfois un peu de consistance.
Paolo Cognetti n’atteint pas les sommets dans lesquels il m’avait emmenée dans mes lectures précédentes, mais nous offre là un joli carnet de voyage, personnel et touchant.

Littérature italienne, Montagne

Les grandes parois

Les grandes parois de Reinhold Messner, 1977

Ne dites jamais à Reinhold Messner que la terre est ronde, que c’est une jolie boule toute lisse !
Pour son grand bonheur, notre planète est pleine de merveilleuses aspérités : ses montagnes chéries.
Les grandes parois (Titre original allemand « Die großen Wände ») est le premier livre traduit en français de l’immense alpiniste, mais ce n’est pas son premier ouvrage : avant celui-ci, il a déjà une dizaine de titres à son actif.
Lire Reinhold Messner est toujours intéressant. le monsieur sait de quoi il parle !
Ce livre ne déroge pas à la règle, même si, assez technique, ce n’est pas le plus exaltant de l’auteur. Dit familièrement, Messner fait du Messner : c’est solide, c’est carré, c’est factuel, c’est clair et sans superflu.
Ne vous lancez pas dans cette lecture si vous cherchez de grandes envolées lyriques à la gloire des sommets : Messner dresse un peu le catalogue des différentes parois qu’il étudie.
Il se lance dans une tentative un peu vaine de trouver une sorte de formule permettant d’évaluer la difficulté de l’ascension de différents murs connaissant les critères objectifs géographiques. Il compare ainsi l’altitude de leur sommet, leur hauteur totale (à ne pas confondre avec l’altitude : un mur peut être situé à une altitude moins élevée qu’un autre mais être d’une longueur plus importante) et leur inclinaison.
À cela s’ajoutent d’autres éléments à prendre en compte tels que l’exposition (face nord, face sud ?), la nature du terrain (rocher, neige, glace ou mélange) et le climat usuel.

Le début de ma lecture, plutôt aride, m’a fait craindre de tenir entre mes mains une sorte de liste présentant une analyse comparée de tous les aspects techniques des parois étudiées.
Heureusement, le texte évolue petit à petit ; il se dégèle si j’ose dire, et laisse apparaître un terrain plus avenant.
Dans le chapitre consacré à l’Aconcagua, l’insertion du journal de bord tenu par un jeune débutant donne un peu de vie bienvenue. L’enthousiasme, l’émerveillement et la sincérité non dépourvue de naïveté donnent à ces pages beaucoup d’intérêt.

La carapace se fendille quand Reinhold Messner aborde le Nanga Parbat et parle de la mort de son frère.
Très cérébral, il analyse avec beaucoup de lucidité, et avec le recul exprime clairement ce qu’il a ressenti, quelle trace cet événement a laissé en lui, quelles réflexions cela a fait naître. Il se fait presque philosophe.
Méfiant, il garde tout de même une certaine distance, comme pour se protéger. Il faut dire qu’il en a subi des attaques et des reproches en tous genres ! Il a donc appris à contrôler ce qu’il raconte sur ce sujet.

Cervin, Grandes Jorasses, Eiger, Aconcagua, Nanga Parbat, Dhaulagiri : le premier homme ayant gravi les 14 sommets de plus de 8 000 mètres vous invite à découvrir ces parois redoutables et envoûtantes.
Laissez-vous tenter par l’aventure, si un livre assez technique ne vous rebute pas.
Reinhold Messner n’est pas le plus poète des alpinistes-écrivains, mais il fait partie des plus intellectuels et ses analyses sont toujours pertinentes.
J’ai la chance de posséder une édition en version originale datant de 1977, abondamment illustrée de croquis et photos de l’auteur qui enrichissent considérablement la lecture, et précise pour ceux qui seraient tentés que le texte requiert un assez bon niveau d’allemand.

Littérature italienne, Montagne

Everest sans oxygène

Everest sans oxygène de Reinhold Messner, 1979

Lorsque Reinhold Messner se lance avec une équipe autrichienne à l’assaut de l’Everest en 1978, il a déjà un palmarès respectable. Et une ambition avouée : tenter, avec Peter Habeler, d’arriver au sommet sans utiliser d’oxygène.
Les deux hommes se connaissent bien et ont une solide expérience commune. Personne ne doute de la valeur de la cordée qu’ils forment.
Mais, l’Everest sans oxygène ?
Tout le monde considérait qu’il était physiologiquement impossible à un être humain de grimper ainsi à une telle altitude.

Reinhold Messner est tout sauf fou. Il ne prend jamais de risques inconsidérés et prépare toujours minutieusement tout ce qu’il entreprend. Cette ascension-là encore plus !
Avec son compagnon d’aventures, ils espèrent vaincre sans oxygène, mais se tiennent prêts à en faire usage s’ils se sentent en trop grand danger.
Tout au long du récit alternent les moments de découragement, lorsque le mauvais temps s’invite ou que le terrain n’est pas favorable, et les moments où l’espoir renaît, où l’énergie revient, où les hommes se sentent intensément vivants.

Reinhold Messner est un dur à cuire. Il a peu d’états d’âme.
Au début de l’expédition, l’équipe entière a une grande discussion à propos des accidents et de la conduite à tenir au cas où l’un des membres viendrait à décéder. Chacun exprime ses « dernières volontés » : où il veut, si possible, être transporté, quelle cérémonie il souhaite… discussion qui peut paraître assez macabre mais qui a l’air de se dérouler tout à fait naturellement.
Pour notre alpiniste italien, c’est simple : « Je désire qu’on m’enterre sur le lieu de l’accident et qu’on continue. »
Efficacité et pragmatisme sont les maîtres-mots de ce grimpeur exceptionnel, mais il n’est pas insensible pour autant et nous gratifie de-ci de-là de jolies réflexions, comme lors de ce bivouac éprouvant : « Je n’ai plus que le sentiment de la vanité, de l’absurdité de notre entreprise, et surtout l’impression d’être soustrait au monde, de n’appartenir à rien, ni à moi-même. » ou dans les derniers moments de l’ascension : « Respirer est si épuisant qu’il nous reste à peine la force de continuer à marcher. Tous les dix ou quinze pas, nous nous écroulons dans la neige pour une brève halte, avant de continuer notre reptation. J’ai même oublié que j’existe. »

Dans le chapitre « Point final » dans lequel il raconte la dernière montée avec Peter Habeler, l’arrivée au sommet puis la redescente, Messner se fait lyrique comme jamais. Ce qu’il a éprouvé a visiblement été très fort et il arrive à merveilleusement bien à nous faire comprendre ce qu’il ressent, physiquement et émotionnellement, l’état d’esprit qui l’anime, et ce que représente pour lui cette victoire.
Oui, l’Everest a déjà été gravi avant, mais sans rien enlever au mérite de tous les prédécesseurs, le toit du monde n’avait jamais été atteint sans masque à oxygène.
Une « première » a toujours une valeur particulière car si l’on peut s’appuyer partiellement sur les expériences précédentes, on doit faire seul une partie du chemin et s’aventurer en terrain inconnu. Reinhold Messner ne s’y trompe pas, et il sait la valeur de l’exploit qu’il a accompli avec son compagnon.
Un exploit tellement grand qu’il laisse un vide terrible. Dans ce livre, l’auteur explique très bien ce phénomène et l’ambivalence de ce qu’il éprouve : « l’irrésistible envie de descendre et de mettre l’alpinisme au clou. En même temps que naît en moi le désir de revenir, de me retrouver encore une fois à la limite des possibilités humaines. »

Everest sans oxygène est un témoignage intéressant d’un fait marquant de l’histoire de l’alpinisme.

Histoire, Littérature italienne

La goûteuse d’Hitler

La goûteuse d’Hitler de Rosella Postorino, 2018

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Parmi les hantises récurrentes d’Hitler, il y avait la peur d’être empoisonné. Aussi, une dizaine de « goûteuses » étaient à son service, testant tous les plats, tous les ingrédients qui passaient par sa cuisine.
Ces femmes, enrôlées de force, avaient le devoir de manger, que cela leur plaise ou non. Le Führer s’attablait une heure plus tard… s’il n’était rien arrivé à ses goûteuses. Celles-ci servaient littéralement de cobayes, et devaient être prêtes à mourir empoisonnées à tout instant pour préserver celui qui ravageait le monde.
Qu’une nation soit prête à sacrifier ainsi des êtres humains, qui plus est appartenant à son propre peuple, est très révélateur de l’endoctrinement massif qui avait cours à cette époque : rien n’était trop beau pour le Führer, tout lui était dû, y compris des vies humaines.
D’un côté, on pourrait se dire qu’elles en ont de la chance ces goûteuses : en ces temps de privations, elles sont royalement nourries. Mais elles paient très cher cet « avantage ».
Par l’angoisse d’abord. Une angoisse permanente : celle de mourir empoisonnées. En effet, si quelqu’un s’était avisé d’introduire une quelconque substance nocive dans la nourriture du Führer, c’est elles qui auraient servi de fusibles, c’est elles qui auraient sauté, sauvegardant la vie du chancelier.
Les goûteuses mangent ainsi tous les jours à leur faim, mais la boule au ventre. Rosella Postorino nous fait très bien comprendre et ressentir leur angoisse permanente. Curieuse situation, alors que tant de monde meurt de faim, que d’avoir peur de mourir parce que l’on a mangé !
Ensuite, confinées chaque jour de longues heures dans la « Wolfsschanze », le quartier général d’Hitler en Prusse-Orientale, elles sont condamnées à vivre avec des compagnes d’infortune qu’elles n’ont pas choisies, sous la surveillance de soldats peu empathiques et pour beaucoup d’entre eux, très brutaux.
J’ai trouvé ce livre très intéressant, car il m’a fait découvrir un épisode de la seconde guerre mondiale que je ne connaissais pas du tout.
Le personnage principal est inspiré de Margot Wölk, qui a vécu deux ans au service (forcé) d’Hitler, deux ans pendant lesquels pour elle et ses compagnes, manger pouvait entraîner la mort.
Les deux premières parties du livre m’ont vraiment plu, Rosella Postorino ayant su habilement mêler la petite histoire et la grande.
Avec la troisième partie, en revanche, je suis restée sur ma faim. Je l’ai trouvée bien trop courte, et cette fin expéditive m’a laissé un goût d’inachevé. Beaucoup de blancs restent dans l’histoire de Rosa, et j’aurais aimé en savoir davantage. Mais malgré cette déception finale, La goûteuse d’Hitler est un roman très intéressant par son sujet et agréable à lire parce que très humain.
Pour ceux que ça intéresse, une courte vidéo présentant Margot Völk :
https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/margot-woelk-95-ans-gouteuse-de-hitler-raconte-CNT0000019cyuA.html

Littérature italienne, Montagne

Antarctique : ciel et enfer

Antarctique : ciel et enfer de Reinhold Messner, 1998

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Enfant, j’avais un livre sur l’histoire de la conquête du pôle Sud.
Je l’ai lu à d’innombrables reprises.
Les expéditions me faisaient rêver.
Le duel Scott-Amundsen me fascinait. Une histoire heureuse, une histoire tragique.
Ce récit fait partie de ceux qui m’ont donné le goût de l’aventure.
Reinhold Messner, jeune retraité des sommets, a encore la bougeotte et une furieuse envie de grands espaces.
Envie qu’il va assouvir dans une expédition au pôle Sud, en compagnie de l’Allemand Arved Fuchs qui revient tout juste du pôle Nord.
N’allez surtout pas croire que la traversée de l’Antarctique est facile, plus facile que l’ascension d’un « huit mille » himalayen. Reinhold Messner, lui, ne s’y trompe pas, et nous raconte les doutes et même les cauchemars qui l’assaillent avant le départ.
Toujours très prudent et méthodique, Messner prépare minutieusement l’expédition pendant trois longues années.
La traversée de l’Antarctique dure 92 jours, pendant lesquels alternent les bons et les mauvais moments.
Les conditions météorologiques sont parfois exécrables.
Certains jours, la visibilité est quasi nulle, voire nulle, c’est ce qu’on appelle le « white out », sorte de brouillard blanc et lumineux dans lequel on ne distingue plus rien. Reinhold et Arved ne voient même plus leurs pieds, et ne peuvent plus se diriger qu’à la boussole. Ce white out commande de s’arrêter et de se réfugier sous la tente.
Les jours de brouillard moins épais, il faut tout de même avancer car le temps disponible pour la traversée est limité, mais la peur de se perdre et surtout de perdre l’autre est toujours présente : « Je regardais constamment autour de moi. Il n’était pas question qu’Arved sorte de mon champ de vision. Nous nous serions perdus si nous nous étions égarés dans ce brouillard épais et que nous n’avions pas trouvé les traces de l’autre, perdus tous les deux. »
Quand le fameux blizzard s’en mêle, la tente est un bien maigre refuge : « Le bruit était tel, quand le blizzard faisait rage de l’autre côté de la toile, que nous ne pouvions pas nous entendre bien qu’assis à cinquante centimètres l’un de l’autre. »
Mais il y a heureusement des jours plus cléments… enfin, tout est relatif : « Soir de Noël. le soleil entra quand j’ouvris la tente. Pas un souffle d’air. Une ambiance printanière dehors bien que l’on frissonnât. Un air printanier de − 25°C. C’était un Noël paisible et blanc, comme à la maison. »
Reinhold Messner a scrupuleusement tenu un journal de bord, et son récit très précis donne au lecteur l’impression de le suivre de très près… sans prendre de risques !
Il mêle à sa progression des extraits du journal de Scott, leader d’une expédition britannique concurrente de celle menée par le Norvégien Amundsen. J’ai retrouvé dans ces lignes ce qui m’avait marquée dans mon enfance : l’opiniâtreté de ces hommes endurant mille souffrances, leur détermination farouche pour atteindre le pôle. Ils l’atteignent, mais découvrent qu’Amundsen et les siens les ont devancés. La déception est terrible « Tous les rêves éveillés s’en vont ». Ils avaient jeté toutes leurs forces dans la bataille, et leur échec leur sera fatal. Ils ne retrouveront pas l’énergie dont ils auraient eu besoin pour le retour, et qu’un succès leur aurait apportée : ils ne rentreront jamais et meurent tous en cours de route.
L’auteur rend un hommage respectueux à ces hommes courageux.

Vivre coupé du monde pendant une aussi longue période est une expérience très particulière. Pendant les longues heures de marche, Reinhold Messner aime réfléchir, voire philosopher sur le sens de ses actions, et de la vie d’une façon générale : « Lorsque j’étais en route dans des contrées sauvages, ce n’était pas le monde extérieur qui m’importait, mais mon monde intérieur. » Il cite La divine comédie de Dante, il cite Schopenhauer :  » La solitude seule permet d’être soi-même ; qui n’aime pas la solitude, n’aime pas non plus la liberté. »
J’aime le mélange des genres lorsque c’est bien fait, ce qui est le cas ici.
Vivre pendant l’été austral dans un désert froid et sans odeur entraîne certainement une perte de repères. Qu’à cela ne tienne, Arved et Reinhold s’en fabriquent.
Ils rythment leurs journées, et continuent d’utiliser les termes de « matin », « soir » ou « nuit » alors que rien ne les distingue dans la luminosité permanente du soleil polaire. Ils inventent également de petits rituels qui jalonnent le parcours et aident à casser la monotonie : « Nous prenions une gorgée de whisky dès que nous avions atteint un autre degré de latitude […]. C’était devenu une habitude. Nous le buvions la plupart du temps « on the rocks », avec des cubes de glace, et nous nous réjouissions plusieurs jours à l’avance de ce moment. » Sympathique, non ? Et puisque les cubes de glace ne manquent pas, pourquoi se gêner ?
Une seule fois, nos deux aventuriers ont rompu leur solitude à deux, au milieu de leur traversée, pile au pôle Sud. Là, se trouve en effet une base dans laquelle des personnes travaillent et demeurent. Cette halte fait du bien, mais décontenance aussi. Retrouver des humains après toutes ces semaines passées seuls, hors du temps, est une expérience spéciale. Les deux explorateurs reçoivent en vrac les nouvelles du monde. Messner raconte être resté sans réaction après avoir appris la chute du mur de Berlin. Non que la politique ne l’intéresse pas, mais il n’est simplement pas encore prêt à se reconnecter au monde, sachant qu’il lui reste à effectuer la seconde moitié de la traversée.

Voilà une lecture qui m’a enchantée. J’aime ces récits qui me font voyager, encore plus quand ils ne rapportent pas que les faits bruts mais s’accompagnent de réflexions intéressantes. Et si Reinhold Messner n’a pas le lyrisme d’un Bonatti ou d’un Rébuffat, il a une pensée qui n’est pas dénuée d’intérêt.